Victime de la détresse d’un autre
Jean-Jacques Gérard
Le parcours de Jean-Jacques Gérard est celui d’un gamin des cités du 93 dans les années 50.
Le parcours de Jean-Jacques Gérard est celui d’un gamin des cités du 93 dans les années 50. Avant la trentaine, il exerce une quinzaine de métiers, puis il crée des lieux d’accueil pour adolescents en grande détresse. Ensuite il exerce comme consultant psycho-éducatif auprès de professionnels de l’enfance en danger. Plus tard il devient psychanalyste et psycho-victimologue clinicien. Très engagé dans les sentiers des préventions des comportements violents, il est souvent consulté en vue d’un accompagnement psycho-victimologie clinique par des personnes ayant perdu un enfant ou encore victimes de viol et/ou d’inceste.
Dans ces années, vers 1984, six mois après la mort de mon fils François, violé et tué par un jeune homme de 18 ans, je relançais mon projet d’accueil d’hébergement et de suivi d’adolescents dont les histoires étaient souvent semblables à celle de celui qui avait tué mon fils.
Qu’avaient-ils tous en commun ?
Une enfance piégée par les humiliations, les coups, les abus y compris sexuels. Certains furent pris par tous les bouts, tous les trous !! Leurs comportements étaient des signes criants de leur détresse, de leur souffrance psychique et affective !! Mais en face de ces signes : une grande absence d’écoute de la part de nous tous, y compris des professionnels prétendument à l’écoute. Ça crie, et on n’entend pas.
Ce gâchis m’a touché de plein fouet et a exigé que je me rapproche d’abord de moi. C’est ce qui m’a permis de commencer à entendre les signes de mes propres souffrances d’enfant blessé, maltraité par une mère très perturbée. Les troubles et les perturbations que j’ai découverts chez les jeunes étaient semblables aux miens. Je n’ai pas fait non plus l’économie de la souffrance de celui qui survit malgré tout à la perte de son fils, et qui pendant un certain temps ne pourra pas s’autoriser le plaisir. Il y a ceux qui tuent, certes, et puis il y a ceux qui se tuent et tous ceux qui se pourrissent la vie.
Depuis une dizaine d’années, je n’accueille plus les adolescents, mais de temps en temps j’ai de leurs nouvelles d’une façon ou d’une autre. Ainsi j’ai appris que Morad s’était pendu en prison, que Marc avait poignardé une marchande de pizzas, que Sylvain avait torturé un handicapé pour lui soutirer son code de carte. Et Mohamed, qui n’était pas un ado mais un enfant de 6 ans placé dans une pouponnière dont je suivais l’équipe en région parisienne, après avoir mangé les oreilles de son chat, a tué un bébé placé avec lui. Et Nathalie, aujourd’hui, fait le tapin.
Lisez bien ces paroles : « Je ne sais pas ce qui m’a pris… ça a été plus fort que moi. »
Lisez bien ces paroles : « Je ne sais pas ce qui m’a pris… ça a été plus fort que moi. » Ces paroles, nous tous, nous les avons prononcées des dizaines, voire des centaines de fois dans notre vie. Rappelez-vous, et revivez ce sentiment : « Je ne sais pas ce qui m’a pris, ça a été plus fort que moi. » Ces paroles vous rappellent que vous n’êtes pas maîtres de tous vos comportements, pensées, désirs, ou pulsions, qu’on soit auteur d’agression, ou non.
Si n’importe lequel d’entre nous peut à la fois reconnaître un acte qu’il a commis sans savoir ce qui lui a pris, alors l’usage du mot « responsabilité » n’a aucun sens. Je vous laisse mesurer les conséquences de ce que je viens de dire, car le plus souvent il ne s’agit pas de responsabilité ni de « folie ». C’est aussi à cela que le judiciaire tôt ou tard devra s’atteler. La psychiatrie et ses experts s’appuient sur des modèles de l’esprit humain issus d’une morale où tout serait conscient et sous contrôle.
Mes expériences professionnelles et personnelles sur le terrain de la psychologie m’ont amené à mettre en lumière ce qui était enfoui. Ils m’ont révélé qu’être humain, c’est être vulnérable et par là même assujetti aux souffrances.
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Pour lire l’article en entier REFLETS n° 38 pages 20 à 21