L’infini passe l’homme
« Nos sociétés savent désormais qu’elles sont mortelles».
Comme nous l’avons vu dans notre précédente chronique, notre monde contemporain se fissure en ce temps si particulier qui marque le début et le développement d’une ère d’incertitude. La liste de ces maux de société est trop longue pour être rappelée ici. Elle va de la recomposition géopolitique mondiale au mal-être complexe qui étreint chaque individu. Les guerres innombrables actuelles dans la quasi-totalité des cinq continents ne font qu’hypertrophier ces angoisses. La parole de notre presque contemporain Paul Valéry (1871-1945) prend alors toute son ampleur et son actualité : « Nos sociétés savent désormais qu’elles sont mortelles».
Un débat ancien
Ces mots prophétiques ont été écrits et entendus il y a une centaine d’années après la première guerre mondiale. Ils furent suivis, peu de temps après, par le livre tout aussi prophétique de Georges Orwell (1903-1950) qui, dans son ouvrage 1984, prévoyait l’avènement d’un univers où chacun était contrôlé dans son intimité allant jusqu’à une police des rêves que l’écrivain albanais Ismaël Kadaré, du haut de se 87 ans, nous dépeignait d’une façon tout simplement effroyable. Le tout pour arriver, au bout de cette évolution, jusqu’à une société cannibale que le film « Soleil vert » de Richard Fleischer décrivait sur le mode inspiré en 1973.
Le boomerang en retour
Tel un boomerang, ces écrits ou ce film nous reviennent en pleine figure de nos jours pour se dégrader en un fumier ou terreau fertile suivant l’angle de vue, laissant penser qu’un nouvel univers était possible. Depuis plus de un an, à travers les chroniques sur l’Occident mystique, nous avons entrevu voire même contemplé un autre monde.
Un autre état de conscience est donc possible,
souhaitable ou inéluctable, suivant l’avancée vers ce vingtième et unième siècle qui, au dire d’André Malraux (1901-1975) serait mystique ou ne serait pas. Des questions toutes simples viennent alors à l’esprit. Qui sommes-nous réellement pour avoir créé ce monstre chaotique, ange ou démon, ombre et lumière, pour avoir nous tous et toutes, de près ou de loin, participé à ce dévoiement général ? Comment arriver à la paix ?
Où trouver cet état de paix improbable ?
« Fais la paix en toi et le monde sera sauvé » nous rappelait en son temps un grand spirituel russe Séraphin de Sarov (1754-1833). Très concrètement, cela signifie un changement radical de point de vue sur soi-même et une rupture toute aussi radicale du narcissisme dominant dans toutes ses facettes. Sortir de soi, de son territoire, se détacher de ses prismes étriqués est-il envisageable ?
La paix en nous ?
Faire la paix en nous suppose tout d’abord d’être en paix avec soi-même, ce qui est tout sauf facile. Nous connaissons bien sûr nos propres méandres mais avons toujours une difficulté à nous en décaler. L’autre écueil est de procéder sur le mode binaire du noir et blanc en écartant le fait qu’ils sont étroitement imbriqués et que chaque tonalité engendre l’autre … le noir ou le négatif de notre polarité est le terreau de sa version opposée. Le but est ainsi d’arriver à sa « chambre haute ». Il est sans doute utile d’être accompagné dans cette démarche, qu’elle que soit la méthode ou personne retenue. En langage auto ironique, cette analyse reviendrait à balayer devant sa porte avant de sortir.
De la paix en nous à des oasis d’humanité
De cette paix émergente en nous peut naître une fontaine inépuisable d’amour, de bienveillance et de sérénité. Elle nous renvoie à la symbolique de l’oasis. Celle-ci apparaît dans des endroits particulièrement hostiles semblables au monde décérébré que nous pouvons vivre. Une des allégories les plus anciennes est celle du puits de la Samaritaine où vient chercher son eau, à l’époque évangélique, une femme dont nul ne connaît le nom. Mais elle porte en elle la souffrance universelle. Jésus de passage lui parle et, en peu de mots, elle comprend que cette eau puisée n’est pas que matérielle mais surtout spirituelle. À travers ce liquide se trouve la véritable source de vie.
Cette fertile oasis, au milieu de nulle part,
est peut-être un des endroits d’un nouveau monde en train d’apparaître. Des lieux de paix où s’abreuvent et vivent d’autres personnes, toutes aussi en paix. Des utopies de ce genre ont existé un peu partout dans le monde et à toutes les époques. Mais la principale utopie, ou étymologiquement ce lieu de nulle part, est au centre de l’héritage judéo-chrétien. Dans les textes bibliques, il a plusieurs noms mais une seule réalité, le cœur, la chambre secrète, la chambre haute, le royaume du dedans, l’oasis intérieure. Et, comme le notait Blaise Pascal dans ses pensées, « tout le malheur des hommes venait de ce qu’ils ne savaient pas rester au repos dans leur chambre. ». Pascal est le témoin type d’un génie universel, philosophe, théologien, homme de sciences et découvreur de technologies anticipées comme l’ancêtre de ce que seront les diverses calculatrices, nous disant que ce chemin si facile mais si difficile était tout simplement de rester tranquille dans le monde et hors du monde, détaché mais en lien, dehors et dedans. Il nous traçait ainsi un chemin, ou une voie dans les jungles de notre univers.
Vivre la paix dans son quotidien
Chacun a sa version ou peut l’avoir. Nos ancêtres lointains, depuis plusieurs millénaires, évoquaient la quiétude ou la calme petite coupelle mais aussi réceptacle de ce qui est le plus grand en nous, la présence de l’infini qui nous habite. Et cette oasis du cœur peut nous conduire à la grande oasis d’un monde réconcilié. Nous verrons dans les trois prochaines chroniques ce que pourrait être cette paix dans notre vie la plus quotidienne. Comment entrer dans sa propre chambre haute et goûter alors le silence mystérieux habité par une Présence subtile ?
Gérard -Emmanuel Fomerand
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