L’infini passe l’homme
La Bible, sens littéral du mot LIVRE, est un paradoxe vivant. C’est sans doute l’ouvrage le plus édité dans le monde, par dizaines de millions d’exemplaires, et pas forcément lu dans toute sa profondeur. À la différence du Coran, reçu comme incréé par les musulmans, la Bible est depuis au moins deux siècles, l’objet d’une exégèse systématique qui a mis au jour que des dizaines de scripteurs en étaient les rédacteurs. En dehors de ce travail purement scientifique, il y a consensus, dans la tradition judéo-chrétienne, sur la pluralité des lectures du texte et cela depuis plus de deux mille ans. De nos jours une véritable renaissance de l’intérêt porté à ce texte inspiré s’observe dans l’univers chrétien au niveau personnel et collectif.
La Bible, le retour ou une renaissance ?
Trois mouvances existent depuis longtemps dans le monde chrétien, catholique romaine et protestante (séparés depuis 1517), géographiquement plutôt occidentale, et enfin orthodoxe concentrée plutôt en Orient mais avec une diaspora mondialisée. La rupture entre l’Orient et l’Occident chrétien remonte à près de mille ans. Bien entendu, la Bible leur est commune mais avec des pratiques ou des références variables. Longtemps, l’Église catholique a cantonné l’usage du livre à la sphère du clergé et de sa langue, le latin, ce qui a entraîné, entre autres causes, la Réforme luthérienne de 1517. Celle-ci a traduit le Livre en langue courante et en a fait la référence à peu près unique de sa spiritualité. L’Église d’Orient souvent qualifiée d’orthodoxe a, très tôt, traduit le Livre dans les langues de son aire géographique, en grec, slavon, syriaque, arabe, éthiopien, arménien, roumain, serbe etc…. Et depuis le XIXème siècle, il y a un véritable et universel retour à la Bible, comme source d’inspiration de nos vies à travers encore des traductions nouvelles, entre autres celle de l’École biblique de Jérusalem ou les traductions de Louis Segond (1810-1885) et d’André Chouraqui (1917-2007). Dans toutes les Églises et en dehors d’elles, se multiplient des groupes d’études ou tout simplement de vie partagée autour de cette parole inspirée. Par exemple, dans le diocèse catholique d’Alsace, des groupes « Saveurs d’Évangiles » se réunissent dans des villes ou villages autour des Évangiles. Au plan plus individuel, la Bible pourrait presque se qualifier de livre de chevet de l’ensemble du monde chrétien mais avec des niveaux de lecture différents.
Les trois niveaux de lecture
Depuis Origène (153-235) qui reprenait dans les grandes lignes l’exégèse hébraïque, lire la Bible consistait à ouvrir successivement trois portes c’est-à-dire trois niveaux de conscience qui sont en fait les nôtres. Nous entrons d’abord par une lecture littérale qui prend le ou les mots dans leur forme simple c’est-à-dire sa traduction puis l’appliquer à la lettre. Nous sommes dans une logique fermée, légaliste, potentiellement porteuse de dérive intégriste. Puis nous poursuivons le chemin et, après méditation, donnons à ces mots une compréhension morale ou spirituelle voire symbolique. Puis enfin la troisième porte s’ouvre, celle de l’entrée dans le mystère ou la voie mystique. Ces trois états sont en fait nos trois façons de vivre différemment le même enseignement. À partir d’une unique matrice nous passons de l’intolérance possible à l’accès à la bienveillance universelle. Se résolvent alors les querelles sans objet, amorce d’une pacification de l’être et du monde qui l’entoure.
Changer sa vie ou la lectio divina
Là aussi s’observe la filiation avec l’héritage hébraïque. Le pape Pie XI (1957-1931) le rappelait quand il affirmait que spirituellement nous sommes des sémites. La lectio divina, pratiquée surtout dans l’Occident latin, (l’Orient chrétien pratiquant de son côté la prière du cœur) est en effet une résurgence de la lecture priante des anciens hébreux pour qui cette méthode était l’une des voies d’accès au « Pardes », très ancien mot venant de la Perse antique. Il s’agissait alors d’un jardin clos qui, par glissements sémantiques, est devenu le Paradis. Très concrètement, il s’agit pour les priants de rentrer dans le cœur profond et vivant de l’Écriture. Le plus souvent, cette pratique est reliée au rythme respiratoire, inspir, plateau et expir.
Le verset ou les versets bibliques
sont d’abord doucement lus comme une nourriture et absorbés lentement. Puis dans le calme le plus parfait se déroule une sorte d’escalier qui part de la simple lecture (lectio) puis passe à la méditation (méditatio) pour aller vers la prière (oratio) et arriver enfin à la contemplation (contemplatio).
Là les mots s’arrêtent pour laisser place à un silence absolu presque nocturne car les repères s’effacent peu à peu. Le temps s’allonge et s’étire sans limites. La pratique régulière de la lectio divina se répand également dans tout le monde chrétien. À la fois très ancienne et très nouvelle, elle constitue une forme méditative encore à découvrir pour ceux et celles en quête du sens de leurs vies et qui vont chercher très loin ce qu’ils ont chez eux dans leur propre héritage.
Les chemins de l’être humain ou les miroirs de la Bible
Nous l’avons vu dès les premières lignes, la Bible est profondément humaine car écrite par des êtres humains saisis par une inspiration divine. Elle est aussi, et peut-être surtout, un lien avec l’infini qui nous habite. Elle nous permet, par sa pratique quotidienne, d’aller toujours plus profond en nous-mêmes jusqu’à résonner à une musicalité qui nous dépasse. Elle est miroir d’infini et prend à des multiples reprises le langage de l’amour humain et de la tendresse divine. Tous les versets symboliques où sont mentionnés des termes comme l’échelle, la corde, le chemin, la porte, le parvis etc. sont des escaliers qui nous aident à avancer où à gravir des montagnes apparemment inaccessibles. Elle est composée de lignes d’une poésie indicible. On ne le dira jamais assez : la Bible est un des sommets de la poésie universelle mais à usage très concret, c’est-à-dire, avoir des repères dans les méandres de nos vies. Sa méditation au quotidien peut nous aider à accéder à cette paix intérieure et à être des artisans de paix dans un monde enfin pacifié de ses violences. Peut alors advenir la présence sans nom d’un infini sans forme que l’on peut appeler Dieu voire même, dans cet au-delà de tout, un Dieu sans Dieu.
Gérard -Emmanuel Fomerand
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