Calligraphie de Gérard-Emmanuel Fomerand
Le temps des mystiques ? Un renouveau ?
Nous avons vu dans la précédente chronique que l’évangélisation des profondeurs pouvait nous amener très loin. Nous pouvons nous orienter vers cette expérience d’une paisible harmonie. Le temps change et des océans de paix peuvent nous envahir et la sérénité advenir. Nous pouvons alors arriver à la porte des mystères où conduisent les chemins des mystiques.
Dans notre époque tourmentée voire guerrière
où les religions peuvent être elles-mêmes porteuses de violences, la parole attribuée à André Malraux ( 1901-1976) « Le XXI ème sera mystique où ne sera pas » semble pour le moins décalée. Elle demeure pour le moins éminemment contemporaine car elle a paradoxalement toujours existé depuis l’aube des temps et fait, en quelque sorte, partie de l’ADN de l’être humain même si nous ne le savons pas encore consciemment.
Mais que convient-il d’entendre par ce terme de mystique ?
Il est en lien sémantique avec le mystère et se vit, quelle que soit la religion dont il est proche, comme un état océanique d’expansion illimitée de la conscience qui lui fait approcher ce que l’on peut nommer l’infini en soi-même et à l’extérieur de nous-mêmes. Une de ses spécificités est de constater qu’il existe une mouvance mystique à la périphérie de toutes les religions.
La mystique occidentale chrétienne
a ses propres particularités et a connu des formes diverses suivant les époques. Nous n’aborderons pas ici certains phénomènes liés parfois aux états mystiques de type extraordinaire (extases, transfigurations, etc.) qui peuvent prêter à débats. La simplicité et l’ouverture du cœur, l’ordinaire voire la banalité de notre capacité de nous dilater à l’infini au parfum d’une rose qui fleurit, car elle fleurit sans pourquoi ni comment, peut nous amener cette joie parfaite évoquée dans les Évangiles.
Les grandes tendances de la mystique occidentale chrétienne
Elle se présente avant tout
comme une expérience directe du divin en nous. Elle nous est donnée comme une grâce particulière , sans raison logique et elle est surtout totalement imprévisible. Elle appartient souvent à ceux et celles qui ont mis le Seigneur au centre de leurs vies, sans bruit ni fracas. Toute image, statut social, idolâtrie d’objets, modes ou idéologies vides de sens, leur sont indifférents.
Historiquement, l’Occident a connu plusieurs formes variables de mystiques
suivant les époques et les personnes : la voie de l’ascèse proche des pratiques du christianisme oriental, soit du total abandon qui prospèrera avec le quiétisme au XVII ème siècle… et aussi les mystiques de la petite voie telle Thérèse de Lisieux transformant l’ordinaire en extraordinaire. Beaucoup sont connus comme François d’Assise en plein Moyen Âge jusqu’à la carmélite Edith Stein, gazée par les nazis. Mais la plupart sont inconnus.
Jusqu’à nos jours
des centaines de milliers de personnes ont entamé la montée de cet arbre de vie avec ses myriades d’arborescences de personnes en personnes illustrée par la calligraphie ci-dessus avec leurs destins multiformes.
Une voie mystique pour aujourd’hui ?
Le renouveau des baptêmes de jeunes adultes
en France triplant de l’an 2000 à 2023 en est un témoin entre autres. Les monastères sont l’objet de demandes croissantes de séjours chargés de silence et de résonance… de quête de sens d’une vie.
Dans le vacarme et le bavardage mondialisé
qui sont caractéristiques de notre époque, la question mérite d’être posée. Au lieu de recourir à des antidépresseurs dont la France et l’Occident sont si friands de nos jours… et si on revenait à l’essentiel ? Et alors notre fuite en avant incessante dans le virtuel, le futile et nos peurs récurrentes seraient sans raison. C’est bien là que se situe l’espace de la mystique chrétienne, celui du silence absolu où la voix du Seigneur peut être enfin être entendue.
« Je suis la Voie, la Vérité, la Vie »
Ce verset de l’Évangile de Jean (14,6) nous donne la clef de la porte des mystères et donc des mystiques. Jésus réponds par cette parole à Thomas dit Dydime (étymologiquement le jumeau) qui interpelle le Christ en lui disant que les apôtres ne savaient pas où aller car ils ne connaissaient pas le chemin. La parole est abyssale et s’adresse à tous les êtres humains. Jésus affirme le « Je suis » ( ou le Nom de Dieu dans la théophanie du Buisson Ardent) puis qu’il est la Voie et pour finir qu’il est la vie éternelle.
Devenir participant aux énergies divines
Tout est dit
pour ceux et celles qui cherchent leur chemin à travers leurs ombres et lumières et à arriver au temps du temps à leur propre divinisation. La voie proposée par « Je suis » est le chemin d’une vie, avec ses hauts et ses bas en se servant, tel Moïse devant le Pharaon, d’un simple bâton, qui est le Nom du Christ.
C’est aussi le conseil
que nous donnait un des plus grands mystiques occidentaux, parfaitement anonyme probablement britannique dans un livre qu’il nous a légué Le Nuage d’inconnaissance. Dans son expérience de Dieu, cet anonyme nous dit de trouver un nom, un tout petit nom, un micro verset de l’Écriture par exemple et de le répéter sans cesse. Et ce bâton permettra de percer la nuée d’inconnaissance. Nous serons alors arrivés au bout de notre chemin, sur le rivage pascal de l’océan de notre transmutation finale vers le Un.