Au cœur de l’Occident mystique
Gérard-Emmanuel Fomerand est analyste du phénomène chrétien. Il le réalise a travers des livres et des émissions de radios. Il développe actuellement un essai d’introspection de l’inconscient collectif occidental du christianisme, à travers ses réussites, ses échecs et sa modernité. Il explore ainsi les commencements sans fin d’une spiritualité que, sans le savoir forcément, nous portons au plus profond de nous-mêmes.
« Le Rhin mystique »
La symbolique du fleuve est sans doute aussi ancienne que le genre humain. Il est l’image de l’écoulement des eaux, de la fertilité, de la mort et de la renaissance. Il vient d’en haut, du jardin primordial de l’Eden, selon la tradition hébraïque, pour se diviser en quatre, représentant les quatre points cardinaux. Il est aussi l’une des formes de la verticalité de l’homo sapiens, un flux qui le relie à la terre et au ciel.
Une vallée mystique
La vallée rhénane a aussi son fleuve qui irrigue sur 1.233 kilomètres de riches terres, allant des Alpes bernoises en Suisse pour se terminer en un immense delta aux Pays Bas. Il a un sens bien sûr géographique, économique, politique, historique, mais aussi, et on en retrouve aujourd’hui la saveur oubliée, une richesse spirituelle méconnue qui reste à redécouvrir dans nôtre société en quête de sens. En effet, durant près de deux mille ans, une arborescence spirituelle sans cesse renouvelée a fleuri au long de ses rives, formant une sorte de colonne vertébrale mystique en Europe de l’ouest et du centre. Et cette spiritualité a beaucoup à nous apprendre. Bien entendu, cette centralité rhénane n’exclut en aucun cas les autres floraisons spirituelles de l’Occident, de l’Irlande à la Pologne ou de l’Espagne à la Scandinavie, en passant par la France, que nous verrons au cours de ces chroniques. Mais elle a une saveur particulière, inattendue et surtout méconnue, malgré les innombrables fruits qu’elle a engendrés, si bien qu’elle est une bonne entrée dans l’expérience spirituelle du christianisme occidental.
L’ouverture des yeux
Sur un terreau déjà spiritualisé par les cultes celtiques sous jacents, notamment dans ce lieu qui deviendra plus tard le Mont Saint Odile en Alsace, très chargé en énergies telluriques, une véritable prairie des saintes et des saints va verdoyer tout au long des berges du Rhin. La personnalité d’Odile (660-720) marquera le début de ce lignage. Aveugle de naissance, elle va retrouver la vue pour devenir première abbesse du monastère qui prendra son nom peu après. Là est le premier enseignement de cette spiritualité, celle de l’ouverture du regard intérieur qui est le premier pas dans tout chemin du retour à l’essentiel Où en sommes-nous dans notre vie, comment ouvrir les yeux du dedans, comment voir au-delà des conditionnements et des images sociales, en bref comment faire le point sur son propre parcours. N’est-ce pas là le début de tout chemin spirituel ?
La vallée des Amis de Dieu
Les flots rhénans vont, tout au long des siècles, donner le jour à des « Amis de Dieu » jusqu’à nôtre époque. Ils et elles auront bien des visages, parfois contradictoires, mais unis par un seul message de transformation radicale de l’être humain. Cette spiritualité rhénane, même si elle est multiforme et concerne aussi bien les catholiques que les protestants a quelques points communs : centrage sur le Christ et la Bible, grandeur de l’homme « Ami de Dieu », d’un Dieu inconnaissable et pourtant composante intime de l’âme dans la chambre secrète que nous avons toutes et tous, divinisation en devenir de l’être humain. Ce thème central des « Amis de Dieu » de la spiritualité rhénane sera d’ailleurs l’objet de la prochaine rubrique de cette chronique bimensuelle.
Nous voilà bien loin des clichés devenus la norme, dans l’Occident contemporain mondialisé, du culturellement correct sur la spiritualité chrétienne ! Et si partions enfin à la découverte de nous-mêmes ? C’est dans doute là le point focal du message que nous envoient, par-delà les siècles, ces hommes et ces femmes qui ont vécu sur les berges du Rhin à l’écoute de la Parole du Christ
Quelques jalons et figures remarquables du Rhin mystique
S’il est impossible de dresser une liste exhaustive des figures remarquables du Rhin mystique du fait de la très longue durée de ce courant, près de quatorze siècles, et de la multiplicité de ses formes, on peut avancer quelques jalons et illustrations physiques dans le temps. Il est d’ailleurs remarquable de noter que cette spiritualité a connu une expansion massive pour disparaître progressivement juste en être presque oubliée. Si l’on peut situer Sainte Odile en Alsace comme un point de départ symbolique, autour du VIII ème siècle et Edith Stein assassinée par les nazis ( 1891-1942) comme son ultime floraison, il convient d’insister sur les masses parfois considérables de personnes impliquées de près ou de loin par ce que l’on peut considérer l’apothéose de la spiritualité du christianisme occidental.
Un cas, entre bien d’autres est celui de la mouvance des béguines et des béguinages qui dura presque deux siècles, autour des treizième et quatorzième siècles, et entraîna plusieurs centaines de milliers d’hommes et de femmes. Ces femmes, féministes avant la lettre, et nous en reparlerons en détail lors d’un prochain article, pratiquèrent une « spiritualité laïque » en exerçant des métiers divers puis rentraient le soir dans un enclos où chacune habitait sa maisonnette tout en ayant des temps de prière partagée. Comment ne pas citer aussi des figures comme celle de Maître Eckhart (1260-1328) qui, redécouvert de nos jours, est désormais reconnu comme l’une des figures majeures de la mystique occidentale ? Son enseignement, spirituel et pratique, car il « parlait du temps du point de vue de l’éternité », sera naturellement présent dans cette chronique.
L’actualité du Rhin mystique
Notre société est confrontée à une crise du sens dont les retombées liées à la pandémie du Covid sont l’une des illustrations actuelles. Nous le constatons à peu près unanimement. C’est en ces moments clés, même ils sont difficiles, que les mémoires oubliées reviennent, ou peuvent revenir, à la surface. Hildegarde de Bingen (1098-1179), figure majeure du Rhin mystique, qui sera évoquée ultérieurement, synthétise à sa façon, la richesse, la profondeur et surtout l’actualité de la source rhénane.
Visionnaire, mystique, thérapeute, botaniste, nutritionniste, musicienne, « influenceuse » dirait on aujourd’hui par ses interventions auprès des puissants de son époque, elle trace des chemins de guérison d’un grand intérêt pour des sociétés contemporaines « en mal d’être ». Elle est à la source d’une médecine alternative enfin redécouverte de nos jours à base végétale et minérale.
Tous ces spirituels rhénans ont quelque chose à nous dire en ces temps actuels de recompositions aussi bien dans nos vies individuelles que collectives. Là est bien le fil de ces chroniques sur « Au cœur de l’Occident mystique ». À travers des figures, des thèmes, des sujets de méditation, voire des recettes de vie pratique, les lecteurs et lectrices de cette rubrique découvriront, ou redécouvriront, une source d’inspiration permanente pour leur quotidien à commencer bien sûr par les « Amis de Dieu » qui sont tous et toutes des pèlerins de l’Absolu dans notre monde en transition.
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Gérard-Emmanuel Fomerand