Père Pedro, Insurgez-vous !
Le père Pedro Opeka, prêtre et père lazariste de 68 ans d’origine slovène, exerce son ministère à Madagascar depuis 47 ans. Il a créé en 1989 l’association Akamasoa (« les bons amis », en malgache) afin de venir en aide aux plus pauvres des pauvres, qui tentaient de survivre dans la décharge d’Andralanitra, située à une dizaine de kilomètres d’Antananarivo, la capitale de Madagascar. En un quart de siècle, son association a construit 18 villages et a pu venir en aide à plus de 500 000 Malgaches en leur donnant des soins (chaque village compte une école, un dispensaire, une structure sportive…), des vêtements ou un repas. Elle héberge chaque jour 25 000 personnes. L’association Akamasoa a été nommée à plusieurs reprises pour obtenir le prix Nobel de la paix.
Comment vous est venue votre vocation de prêtre ?
Je viens d’une famille chrétienne, croyante, pratiquante, et dans notre famille, la foi n’était pas un accessoire. Mes parents, surtout ma mère, croyaient à ce qu’ils disaient, vivaient ce qu’ils nous enseignaient. C’étaient nos exemples. Mon père, simple maçon, faisait son travail avec amour et dévouement. Le travail n’était pas une charge, mais une façon de se réaliser. Très tôt, il m’a emmené sur les chantiers. Et là, la première chose qu’il me disait : « Ne touche à rien, ne vole rien parce que le vol est devenu monnaie courante dans beaucoup d’endroits. Quand il y a du vol, la confiance diminue. » Ma mère, quant à elle, disait qu’il ne fallait jamais fermer la porte à quelqu’un qui y frappait. Il faut partager parce qu’il y a toujours des gens plus pauvres que nous, et elle le faisait. Tout cela m’est resté. Puis j’ai commencé à lire les Evangiles à l’âge de quinze ans, et Jésus m’a tellement frappé que j’ai voulu l’imiter et le suivre. Ce n’est pas une institution qui m’a séduit, mais un homme qui s’appelle Jésus de Nazareth. Je donne ma vie pour faire le bien qu’il a fait dans son mouvement d’amour envers ses frères les hommes, et tout particulièrement les pauvres. Voilà comment est née ma vocation.
Ce sont donc vos parents qui vous ont donné cet intérêt pour les pauvres ?
Pas exactement. J’ai été touché par l’exemple qu’ils me donnaient. Mais j’ai côtoyé les pauvres et j’ai vu les bidonvilles à Buenos Aires. J’ai vu les indiens Mapuches abandonnés, oubliés dans la Cordillère des Andes. Comment peut-on oublier des êtres humains comme ça ? Alors ma vocation s’est raffermie de faire quelque chose pour les plus pauvres et les exclus de la société, car nous sommes tous membres de la même famille humaine.
Vous ne vous découragez jamais.
Si, mais je peux vite reprendre courage. J’ai déjà connu tant de déceptions que j’aurais pu déjà abandonner depuis longtemps. Mais je ne suis pas là pour chercher la reconnaissance ni les honneurs ni les privilèges. Je suis là pour servir. Des décennies sont nécessaires pour changer la mentalité et l’état d’esprit. Depuis cinq décennies que je m’engage dans cette action, on a très peu avancé. C’est un long combat.
Quelle image du Christ vous motive le plus ?
Son humilité, sa discrétion. Il vivait simplement au milieu de ses frères. En tant qu’humain, nous devrions nous unir, nous comprendre, et si nous respections déjà les cultures et les traditions différentes des nôtres, ça serait déjà bien. Les hommes jugent vite et vous casent dans un tiroir. On ne peut pas caser l’esprit humain. On ne peut pas caser l’esprit de Dieu, l’esprit de l’Évangile. Il est certain qu’il faut une certaine sagesse de savoir vivre pour pouvoir vivre ensemble. Nous, avec les plus pauvres, avons créé nos lois, nos conventions, notre manière de vivre pour pouvoir vivre ensemble. Si on veut vivre ensemble, il faut se respecter. Il faut participer et être responsable. On ne peut pas vivre, ni progresser sans certaines conventions.
(…)
Dans le livre Insurgez-vous1 vous dites : « Le pardon précède l’insurrection ». Que voulez-vous dire ?
Cela signifie que si je m’insurge avec haine, je ne suis pas meilleur que celui que je combats. Je vais faire du mal également. Quand vous vous insurgez, cela doit être sincère, vrai et fait avec le cœur. Toutes nos démarches devraient être faites dans un esprit de vérité, et non pas en vue d’un profit pour soi-même. Un jour où j’ai demandé une aide, on m’a demandé ce que cela rapportait en retour. Ceux qui nous aident gagnent la fraternité, la force et la joie de se sentir humain. L’insurrection, c’est l’amour pour la justice, pour la vérité, pour le frère qui souffre. Celui qui vit avec ses richesses matérielles vit dans un vide qui ne produit pas la joie de vivre ni la fraternité. Quand vous êtes respecté en tant qu’être humain, vous vous sentez bien. Vous êtes rempli d’un esprit qu’on ne peut pas expliquer, qu’on peut juste sentir. Dans la vie, il peut y avoir des rencontres fraternelles, humaines qui peuvent combler le vide dans lequel vous vivez et qui vous relancent dans un autre monde.
La joie en est le signe, celle qui fait reculer les ténèbres. Quelle est la vraie nature de la joie ?
Je ne sais pas l’expliquer, mais je la vis. La joie, c’est un état d’esprit qui n’est pas lié à toutes ces choses qui vous entourent, en particulier l’argent qui devrait seulement être un moyen de vous alléger la vie. La joie est produite par une relation sincère, par un vécu authentique où chacun essaie de donner de son mieux à l’autre et là, il y a une étincelle. En chaque être humain, il y a des étincelles divines de Dieu et c’est cela qui nous unit. Quand mon étincelle à moi s’illumine, la vôtre s’illumine. Si elles produisent un feu important, on peut se respecter même en ayant des avis différents parce qu’on sent que la source est la même. La joie disparaît quand vous n’acceptez plus ces différences. Notre humanité change vite du bien au mal. Le bien est toujours à re-choisir, mais pas seulement au travers d’un voeu que l’on aurait formulé. Ce n’est pas parce que je fais serment d’être un bon juge ou un bon médecin que je vais être un bon juge ou un bon médecin.
(…)
Je voudrais ajouter un mot à l’attention de tous les présidents de tous les pays du monde : si on devient président, c’est pour servir, en commençant par les plus faibles. Quand il faut traverser un torrent, qui allez-vous aider ? cette femme handicapée ou cet homme costaud ? Si vous avez un esprit juste, vous allez aider la femme handicapée. Alors, le président est là pour servir et seulement servir, d’abord la population la plus fragile, la plus délaissée, la plus oubliée et laissée pour compte.
Pour lire l’article en entier, Reflets n° 25 pages 59 à 62