Au cœur de l’occident mystique
Le Mont Sainte-Odile est l’un des emblèmes les plus forts de la terre et de la spiritualité rhénane dans son versant alsacien. Une présence subtile spirituelle y a une origine fort ancienne et trouve presque certainement sa source dans le monde celtique, ce qui fait remonter ses premières traces à l’an 2000 avant l’ère chrétienne. Le lieu est d’ailleurs chargé d’énergie tellurique et bien des personnes viennent souvent appliquer leurs mains en des endroits précis pour se recharger énergétiquement. Un mur appelé, faute de source certaine, « mur païen » entoure le sanctuaire proprement dit sur une dizaine de kilomètres. On n’en connaît pas vraiment l’histoire ce qui ajoute du mystère à cet endroit.
Le massif de Sainte-Odile
Odile était la fille du duc d’Alsace, Aldéric ou Etichon, qui au 7ème siècle était le seigneur de cette région. Sa fille Odile naquit aveugle et il la rejeta et voulu la faire tuer. Recueillie puis élevée dans un monastère, elle fût baptisée à douze ans et recouvra alors brutalement la vue. Quand leur père apprit par son fils qu’Odile était encore en vie, il le tua. Pris de remords, il donna en héritage à Odile tous les monts dominant l’actuelle ville la ville d’Obernai. Devenue moniale puis abbesse, elle créa un premier monastère sur le sommet et un autre, le Niedermunster au pied de la montagne. Le paysage y est impressionnant de par ses énormes blocs de grès et par la vue immense que l’on y a de la plaine d’Alsace en contrebas jusqu’à la forêt noire en Allemagne sur la rive opposée du Rhin.
Depuis très longtemps le mont Sainte-Odile est le haut lieu catholique de l’Alsace ce qui en fait aussi l’épicentre de la spiritualité rhénane car au plan géographique, elle n’est qu’à une vingtaine de kilomètres de Strasbourg, une des capitales jalonnant ce grand fleuve qui coule au cœur de ce terroir qualifié souvent de Rhin mystique et où enseigna Maître Echkart.
La symbolique des yeux
La guérison soudaine et miraculeuse d’Odile marqua toute l’histoire de cette terre inspirée. Des pèlerinages s’y déroulent depuis le haut Moyen-Âge malgré l’histoire tourmentée du monastère plusieurs fois incendié ou détruit par les fréquentes guerres qui ravagèrent l’Alsace
Ce thème de l’ouverture des yeux est fréquemment employé par les textes sacrés du judaïsme et du christianisme. Dès la Genèse, il nous est dit clairement que le point de départ d’un véritable discernement s’inscrit dans la vue du bien et du mal (Gn 3,5). Le récit dans l’Évangile de Jean de l’aveugle né (Jn, 9,1) est très parlant. Il est souvent représenté dans la peinture occidentale notamment dans un panneau de la cathédrale de Sienne en Italie. Cet aveugle né, qui ouvre enfin les yeux, à des sens multiples. Bien sûr, un élément christique évident que tous les spirituels ont noté à savoir la centralité du Christ dans la vie mystique et de sa relation à lui qui enlève les croûtes de nos paupières. Puis, de façon plus allusive, un message est délivré. Et si nous ouvrions les yeux du dedans pour savoir où nous en sommes dans nos vies ? Et devenir un autre être humain ? En empathie avec le monde et nos semblables ? Le message est éminemment actuel.
Lumière et ouverture des yeux
La disparition de la cécité, surtout si elle est brutale, fait jaillir des flots de lumière. Un de nos contemporains, André Frossard (1915-1995) a été sans doute l’un de ceux qui ont le mieux transcrit cette étrange expérience dans son livre célèbre « Dieu existe, je l’ai rencontré ». Fils de l’un des fondateurs de la CGT en France, il avait été élevé dans la plus totale indifférence religieuse. Un jour en entrant par hasard ou par curiosité dans une église parisienne, il en ressortit transformé soudainement. Une lumière d’une force phénoménale l’avait transpercé. Il se « convertit « tout aussi tôt au grand dam de sa famille. Que nous dit-il dans son texte ? Il vit une lumière si intense « qu’elle était capable de briser la pierre la plus dure, le cœur humain ». Les théologiens qualifient cette lumière d’incréée car elle ne relève pas de notre espace temps. Innombrables ont été les personnes en Occident qui ont traversé cette expérience. Ce trait est l’un des marqueurs des spirituels de l’Occident.
L’ouverture des yeux dans nos vies
Comme nous l’avons constaté dans l’une des précédentes chroniques sur la montagne intérieure, tous les termes utilisés par la Bible ont de nombreuses compréhensions allant du plus physiologique au plus profond de nous même. L’ascension du Mont Sainte-Odile est une aventure spirituelle mais elle peut aussi avoir également lieu dans notre chambre intérieure. Où en sommes-nous, quel est le sens de nôtre vie ? Et il peut arriver une réponse brutale d’une force incoercible. Et nos yeux s’ouvrent alors. Et notre vie change. Combien de mystiques occidentaux ont connu ces moments aussi intenses, à commencer au 17ème siècle par la célèbre nuit de feu de Blaise Pascal. Sans doute que le silence et l’extraction des bruits et bavardages permanents engendrés par nos sociétés en sont l’une des conditions. C’est pour mieux entendre ce silence afin d’ouvrir nos yeux sur d’autres horizons que certains moines d’occident ont créé des ermitages dans des lieux sauvages et perdus, au creux des monts, où souffle un vent des cimes comme à la Grande Chartreuse près de Grenoble évoquée dans une précédente chronique.
Gérard Emmanuel Fomerand
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