Monsanto Papers
Christian Roesch
Tous les écologistes le savaient depuis fort longtemps : les produits fabriqués par Monsanto sont dangereux pour les abeilles, pour les végétaux, pour la santé humaine. Les preuves scientifiques étaient contrecarrées par d’autres preuves fournies par les soins de Monsanto prouvant l’innocuité de ses produits. Le débat – sans fin – permettait de continuer à autoriser l’utilisation du glyphosate dans la plupart des pays. Or la révélation des « Monsanto Papers » prouve que la direction de Monsanto est informée depuis toujours de la toxicité du glyphosate et montre qu’elle a tout fait pour la dissimuler.
Le jeudi 16 mars 2017, un juge de la Cour fédérale américaine a ordonné à Monsanto de déclassifier 250 pages de correspondances internes. Ces documents – surnommés « Monsanto Papers » – ont été rendus publics dans le cadre d’une action collective portée devant une cour fédérale de Californie par plusieurs centaines de travailleurs agricoles touchés par un cancer du sang. Ils prouvent que le géant de l’agrochimie manipule les recherches, complote avec les agences d’expertises et remet des comptes rendus fallacieux aux agences gouvernementales, le tout dans le but de réfuter le fait que le glyphosate est un agent cancérogène.
Le 24 mars, 27 députés européens ont envoyé une lettre à la Commission européenne, estimant que ces révélations remettaient en cause la ré-autorisation du glyphosate dans l’attente d’un nouvel avis scientifique de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA).
Manipulation des études scientifiques
Le 15 mars, la veille de la déclassification, l’ECHA avait annoncé qu’elle ne classait pas le glyphosate parmi les agents cancérigènes ! Le mardi 18 avril 2017, les juges du Tribunal Monsanto ont présenté publiquement les conclusions de leur travail et rendu un avis juridique consultatif. Tenu en novembre 2016, le Tribunal Monsanto est une mobilisation internationale de la société civile pour juger Monsanto pour violations des droits humains, pour crimes contre l’humanité et pour écocide. D’éminents juges, après avoir entendu des témoignages de victimes, ont rendu un avis consultatif suivant les procédures de la Cour internationale de justice. Corinne Lepage, avocate et ancienne ministre de l’environnement en rend compte dans le Huffington Post : « L’avis consultatif du Tribunal Monsanto rendu le 18 avril répond positivement à cinq des six questions posées au tribunal. Oui Monsanto s’est engagé sur des pratiques qui ont eu un impact négatif sur le droit à un environnement sain ; oui le comportement Monsanto constitue une atteinte à la souveraineté alimentaire et est une atteinte aux droits de l’alimentation du fait d’un marketing agressif sur les OGM ; oui Monsanto s’est engagé dans des pratiques ayant un impact négatif sur le droit à la santé et les révélations récentes des Monsanto Papers mettent en lumière une pratique systématique de manipulation des études scientifiques ; oui le comportement Monsanto porte atteinte à la liberté scientifique, atteinte d’autant plus grave qu’elle s’accompagne d’exposition à des risques sanitaires et environnementaux ; oui si le crime d’écocide existait en droit international, des activités de Monsanto pourraient relever de cette infraction. En revanche le tribunal a considéré qu’il n’était pas possible de répondre à la question relative à la complicité de crimes de guerre par la fourniture d’agent orange même si il semble que Monsanto savait à quoi ces produits allaient servir.
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Droits humains menacés
« Mais la troisième partie de la décision est particulièrement intéressante dans la mesure où le tribunal insiste sur le décalage croissant entre le droit international des droits de l’homme et la responsabilité des multinationales. En effet, l’ensemble des règles qui protègent les investisseurs finit par rendre très difficile – et c’est bien entendu fait pour – la protection par les États des droits humains et des droits de l’environnement. D’où un double appel lancé par le tribunal, d’une part aux Nations unies d’agir avec la menace des tribunaux arbitraux qui se substitueraient aux États, d’autre part pour que les multinationales puissent être poursuivies lorsqu’elles violent les droits fondamentaux.
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Sous nos yeux obnubilés par les produits dangereux, les manipulations génétiques – les OGM – , n’assiste-t-on pas, impuissants, au partage du monde entre trois multinationales gigantesques de l’agrochimie : Bayer/Monsanto pour l’Europe et l’Amérique du Nord, Syngenta/ ChemChina pour l’Asie, Dow Chemical/ DuPont pour l’Amérique et l’Australie ?
Ces multinationales sont plus puissantes que les États. Leur enjeu est d’imposer leur modèle au sujet de l’alimentation du monde. Avec les accords du type CETA et TAFTA, il sera très difficile de contrer leur activité.
Pour lire l’article en entier, Reflets n° 24 pages 18 et 19