Les monnaies locales complémentaires et citoyennes
Maxime Mocquant
Dionysos, pour remercier Midas, lui accorda un vœu. Ce dernier, aveuglé par son appétit de richesse, lui demanda de pouvoir transformer en or tout ce qu’il touchait. Devenu incapable de manger ou de boire, Midas s’en retourna vers Dionysos pour être libéré de son vœu : pour ce faire, il devait se laver les mains dans les eaux du fleuve Pactole.
Cette histoire de la mythologie grecque nous rappelle que la première richesse se trouve dans la satisfaction des besoins du quotidien, et non dans l’accumulation de biens tout précieux qu’ils paraissent.
Dans notre mémoire collective, la monnaie dont nous nous servons est reliée à des métaux précieux, l’argent et l’or. Alors, quoi de plus naturel que d’accumuler cette monnaie, qui fera de nous des humains riches, ou prévoyants devant la peur de manquer. Dans les années -350 avant J.-C. déjà, Aristote dénonçait la chrématistique, entendue comme l’art de s’enrichir indéfiniment, avec pour but unique l’accumulation de la monnaie.
Les accords de Bretton Woods, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ont fait du dollar la seule monnaie échangeable contre de l’or, lui conférant ainsi une valeur de monnaie de réserve. Les États-Unis possédaient alors les deux tiers de la réserve mondiale d’or. En 1971, beaucoup de pays qui n’avaient plus confiance dans le dollar exigèrent d’être payés en or. La réserve de Fort Knox s’épuisant, les États-Unis, alors englués dans la guerre du Vietnam, décidèrent le 15 août de mettre fin à la convertibilité du dollar. Depuis cette date, la monnaie a perdu toute valeur matérielle réelle. La réalité d’aujourd’hui, bien différente, répond à trois principes.
Les monnaies telles que l’euro sont structurellement en quantité inférieure aux besoins. De l’ordre de 8 à 15 fois moins.
Le manque structurel doit être compensé par une monnaie de substitution, privée, la monnaie scripturale bancaire, sans pouvoir libératoire, n’étant qu’une promesse de monnaie centrale.
Cette monnaie bancaire est émise en s’endettant auprès des banques qui font comme si elles nous prêtaient quelque chose qu’elles possèdent.
Et comme il se doit, nous devons rembourser ces prêts avec des intérêts. Et ces intérêts nous appauvrissent, au profit de quelques-uns qui, eux, s’enrichissent. Ce phénomène est devenu visible et flagrant lors des dernières crises, et plus encore avec la crise sanitaire actuelle. Aujourd’hui, les dettes publiques sont tellement imposantes que les prêteurs ont besoin d’être rassurés quant aux remboursements. Ce qui implique des augmentations d’impôts et une baisse des services publics, devenus « trop chers ». Ce n’est pas que nous dépensons trop, c’est qu’il faut faire des économies pour donner le change aux prêteurs, et les rassurer sur notre capacité à rembourser. Les implications de cette dynamique sont diverses et nous conduisent directement vers des crises de plus en plus fortes. Les petits épargnants sont eux aussi inquiets quant à l’avenir, et préfèrent donc stocker leur argent en le plaçant sur des comptes rémunérateurs.
On en arrive à une logique spécifique : faire travailler l’argent. Il est en effet devenu plus simple, pour s’enrichir, de faire travailler l’argent plutôt que des artisans et des ouvriers. La valeur travail humain est donc dévalorisée. Autre implication de cette logique, la monnaie se raréfie, il n’y en a plus assez pour faire fonctionner l’économie. C’est ce qui a motivé la création de monnaies locales complémentaires.
LA MONNAIE LOCALE CONDUIT À DEVENIR DES CITOYENS PLUS RESPONSABLES
Ces monnaies, que l’on ne peut thésauriser, permettent aux économies locales de fonctionner ; elles circulent comme un fluide qui viendrait en irriguer toutes les parties.
Le particulier paye en monnaie locale un bien acheté à un commerçant ou à un artisan. Ces derniers doivent trouver pour l’écouler des fournisseurs locaux acceptant cette monnaie. Le circuit devant s’autoalimenter, si et seulement si une partie significative de la population d’un même territoire joue le jeu. La production de monnaie locale se décide à partir d’un choix démocratique. En effet, face à un besoin particulier qui réclame beaucoup de liquidité, créer de la monnaie peut se faire à condition que la communauté soit d’accord sur le projet de réalisation de ce besoin. Petit à petit, le surplus de monnaie va revenir à l’association qui la gère, et s’il n’y a plus de besoin, l’excédent sera détruit. Dit comme cela, les monnaies locales deviennent un outil de développement des économies sur un territoire donné. Toutes se dotent d’une charte et des meilleures intentions possibles. Il existe aujourd’hui environ 90 monnaies locales en France.
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Pour lire l’article en entier REFLETS n°38 pages 10 à 11