Interview de Patricia Montaud réalisé par Émilie Poget, de l’association AGM
Dans votre dernier livre, vous témoignez de toute la difficulté de rejoindre le sourire au cœur du quotidien. Pourquoi ce thème est-il si central dans l’enseignement des Dialogues ?
Parce que nous manquons tous de sourire sur nous-mêmes.
Sourire est une décision qui appartient à chacun de nous. Nous avons tous à chaque instant le choix entre gémir ou sourire, et ce choix est sacré car il change la destination d’une vie. Mais qui sait sereinement sourire sur ses agacements, sur ses imperfections, ses bêtises… ? Qui le sait ? Sourire, cela s’apprend… c’est un art !!
C’est d’ailleurs le premier apprentissage que j’ai vécu auprès de Gitta Mallasz. Quand j’arrivais les sourcils froncés sous le poids d’un grave souci, elle me disait :
– Sourire ou souffrir, à toi de choisir !
Et quand je lui répondais que je ne pouvais pas sourire d’un problème qui me faisait mal,
elle se campait devant moi, les deux mains sur les hanches, et me lançait avec un vouvoiement imparable :
– Madame Montaud ! Quand vous vivez des événements agréables, vous êtes toute réjouie. Mais quand ils le sont moins, vous faites grise mine. Pourquoi donc ? Parce que vous pensez que Dieu vous donne parfois des bons points, et d’autres fois des punitions ? Que parfois Il vous aime et parfois non ?
Cette phrase a été pour moi comme un électrochoc :
J’étais donc à chaque instant, devant deux destinations possibles : soit je pensais du mal de moi… soit je pensais du bien. Et cela ne dépendait que de moi.
La première route ne demande aucun effort, elle est en pente : il suffit que je me laisse glisser dans les méandres de mes jugements… « Tu aurais dû… », « Mais comment as-tu pu ! » « Tu es vraiment nulle ! » « Ma pauvre, tu ne seras jamais à la hauteur ».
La seconde route grimpe un peu et me demande l’effort d’un peu d’amour pour moi-même. Sur ce chemin-là, atteindre le sourire sur ma faiblesse de l’instant est un sommet.
Mais comment faites-vous pour prendre la bonne route ?
Connaître ce carrefour de vie est insuffisant,
et je me suis longtemps échinée à vouloir être parfaite au lieu de tenter un sourire sur mes imperfections. Dans les Dialogues avec l’ange, lors de l’entretien 12 avec Lili, il nous est donné une piste pour rejoindre le vrai sourire :
SACHE D’ABORD EMBRASSER,
ALORS TU POURRAS VOLER.
PAS AUTREMENT.
C’est cet apprentissage qui me manquait
et que j’ai vécu auprès de Gitta et de mon époux. Mais cela ne s’est pas fait en un jour. Ils m’ont d’abord appris à connaître et reconnaître les imperfections qui m’habitent et à les embrasser au lieu de leur claquer la porte au nez. Que ce soit avec Gitta m’apprenant l’humour sur moi en me faisant chanter ma jalousie sur un air de Verdi, ou avec mon époux m’aidant à visiter le passé qui m’avait construite ainsi, tous les deux m’ont enseigné la route du sourire.
Mais comment faites-vous concrètement aujourd’hui pour désamorcer vos jugements ? Ils sont tellement plus automatiques que les mots d’amour !
Il s’agit de ne pas perdre une seconde lorsque je me juge ! Surtout, ne pas laisser le temps aggraver mes accusations, que ce soit contre moi ou contre les autres, parce que plus je descends la pente des reproches, plus elle est rude à remonter. En ce qui me concerne, tout dépend de la taille du jugement que je me porte.
Pour un « petit jugement », me voir à l’œuvre et me parler avec tendresse suffit à me faire sourire : Je t’ai vue, petite Patricia ! Mais tu es là aussi !
Pour un « moyen jugement », j’ai développé un outil simple, pratique, facile à utiliser en toute circonstance : puisque mes agacements ont tous la même origine – je ne me donne « pas le droit » d’être celle que je suis, pas le droit à mon imperfection – alors je vais essayer de me
donner ce droit. Je vais remplacer ma ribambelle de Je n’ai pas le droit par une ribambelle de J’ai le droit.
Par exemple au moment où je me surprends à me juger d’avoir passé une journée à courir au lieu de respecter mon rythme, il suffit que je commence, même en tâtonnant, par un premier j’ai le droit souvent maladroit :
J’ai bien le droit de ne pas être parfaite…
Bof ! Cela ne me fait ni chaud ni froid.
J’ai le droit d’espérer une journée où je serai « zen » du matin au soir…
Là, s’esquisse un début de sourire.
J’ai le droit d’avoir peur de ne pas assumer tout ce que j’ai sur les épaules…
C’est bien moi ! Je me reconnais tellement dans celle qui ne se sent pas à la hauteur.
J’ai bien le droit de vouloir être irréprochable… sinon qui va m’aimer ?
Là je suis saisie ! C’est ça ! J’y suis ! Et je me sens fondre de tendresse pour moi-même… un discret sourire sur les lèvres.
Et vous y parvenez chaque fois ?
Oh que non ! Car il existe une troisième catégorie de jugements, plus puissants et plus résistants : les « gros jugements », qui réclament de plus gros moyens. Là, pour pouvoir vraiment m’innocenter, il me faut revenir à l’origine de mon imperfection, là où tout a commencé :
mon passé.
Il suffit que je fasse silence pour qu’un souvenir de mon enfance surgisse, faisant écho point par point à ma misère de l’instant en l’éclairant d’un jour nouveau. Et c’est la petite Patricia que je prends dans mes bras. C’est elle qui va me toucher le cœur au point de me retourner dans un vrai sourire de miséricorde !