Le pardon, clé du vivre ensemble
Philippe Dautais
Père Philippe Dautais est prêtre orthodoxe (Patriarcat de Roumanie). Fondateur et co-responsable avec son épouse Elianthe du Centre Sainte-Croix en Dordogne, il y anime des sessions et retraites depuis 30 ans. Il enseigne notamment une pratique de la voie spirituelle chrétienne dans l’héritage de la tradition philocalique et hésychaste, laquelle exprime l’essentiel de l’expérience chrétienne du premier millénaire. Il est délégué à l’œcuménisme pour la région sud-ouest par l’Assemblée des Evêques Orthodoxes de France (AEOF) et impliqué depuis 18 ans dans le dialogue inter-religieux.
Le père Philippe Dautais définit le pardon comme une ouverture du regard et du cœur. Il est le fruit d’un chemin intérieur qui conduit à la réconciliation avec soi-même et avec l’autre. Le pardon est un acte d’amour gratuit qui n’attend pas la réciprocité, mais permet cette réconciliation. Prier « pour ceux qui nous maltraitent » comme nous y invite le Christ permet de les rencontrer en profondeur, dans leur grandeur et leurs failles.
Qu’est-ce que le pardon ?
L’idée que l’on se fait du pardon est trop souvent réduite à des clichés ou à des conceptions erronées. On pense que le pardon c’est « passer l’éponge », excuser, minimiser la faute, trouver des circonstances atténuantes ou encore accorder sa pitié à une personne pour laquelle nous n’avons pas une grande considération. Or, le pardon est l’expression de l’amour et le fruit d’un chemin intérieur qui conduit vers la réconciliation avec soi-même et avec l’autre. Il est une voie royale vers l’unité, vers la pacification du cœur et la possibilité de rompre avec l’enchaînement et le déchaînement de la violence. Le pardon est une clé pour le « vivre ensemble ».
Le pardon rime avec vérité
En premier, le pardon rime avec la vérité, la vérité des faits, de l’agression, de l’offense, du préjudice. Le pardon n’est pas oubli. L’oubli est en général lié aux tendances à l’évitement, au refoulement ou encore à l’indifférence. On préfère oublier plutôt que de se confronter à des réalités ou à des souvenirs qui dérangent. L’évitement conduit au pardon des lèvres, au pardon superficiel mentionné plus haut, où la relation de l’agresseur à nous-même n’est pas assumée. Le pardon véritable, au contraire, aide la mémoire à guérir. Celui qui ne veut pas faire mémoire du passé reproduira les mêmes erreurs dans le futur. La mémoire nous aide à prendre en compte l’expérience passée pour être plus apte à assumer l’avenir. Sur le plan collectif, l’histoire nous offre plusieurs exemples. Le plus marquant pour nous, en France, est celui de la réconciliation de la France avec l’Allemagne, fondée sur la reconnaissance et la mémoire des faits, ce qui a motivé la construction d’une Europe de la paix.
Le pardon, par la reconnaissance du mal subi,
permet de rompre avec la logique mortifère
La parole est nécessaire à la vérité. Il est essentiel que la victime soit entendue dans sa souffrance, qu’elle puisse dire ce qu’elle a vécu. Cette phase lui permettra de se situer par rapport aux faits. L’incapacité à formuler l’offense subie, à nommer l’agression, – par exemple le harcèlement moral, sexuel, le viol,…-, peut évoluer en culpabilité. Une victime qui ne peut dire le mal subi tend à considérer qu’elle est responsable de ce qui lui arrive. Si cette personne est fragile, elle se laissera gagner par un malaise intérieur, une confusion mentale, puis la culpabilité qui peut dégénérer en processus d’autodestruction. On se fait mal à cause du mal subi.
Ce processus a été bien mis en évidence dans le dossier de la maltraitance. Pour résumer en une phrase un sujet qui mérite notre attention : un adulte qui peut nommer en quoi il a été maltraité dans son enfance ou son adolescence ne deviendra pas forcément maltraitant. Celui qui n’a pu reconnaître cette maltraitance pour divers motifs, notamment la loyauté vis-à-vis de ses parents, deviendra presque à coup sûr un maltraitant.
Le pardon, par la reconnaissance du mal subi, est la possibilité de rompre avec la logique destructrice ou mortifère. Il est la promesse d’un avenir autre qui ne soit pas la reproduction du passé par l’ouverture de la conscience et le chemin de transformation intérieure qu’il suscite. Ce chemin implique la notion clé de « désidentification ».
Le pardon se conjugue avec la condamnation des actes destructeurs, non de leurs auteurs.
Le pardon s’adresse à la personne. Il n’est pas la négation des faits ou de l’agression, mais la réhabilitation de la personne associée à la condamnation des actes violents ou des paroles agressives. Notre tendance habituelle est de juger l’autre. Juger signifie identifier l’autre à ce qu’il a dit ou à ce qu’il a fait. Juger, c’est enfermer la personne toute entière dans une action : il a volé, donc c’est un voleur, il a tué, donc c’est un tueur, il a raté son examen, donc il est nul. Souvent, nous entendons dire : « Il est comme ceci, elle est comme cela ». La personne est cataloguée, cela « lui collera à la peau ». Le pardon, au contraire, est ouverture du regard et du coeur, il est l’expression de l’amour. La bienveillance pour la personne ne supprime pas la nécessité de la sanction. En faisant cette distinction, on ne condamne pas la personne, mais les actes qui ont été préjudiciables au vivre ensemble, donc à la vie sociale. Cette « désidentification » offre à l’auteur du préjudice la possibilité d’une prise de conscience pour un changement de comportement et met en évidence la dimension pédagogique de la loi. La loi pose les limites nécessaires de la vie sociale, limites qui sont au service de la structuration des êtres et de leur édification. La loi a pour vocation de nous conduire vers la conscience de l’autre, vers le respect de l’intégrité de la personne.
Comment faites-vous pour pardonner ?
Disons-le clairement : le pardon n’est pas d’ordre psychologique, mais spirituel. Le pardon suppose de renoncer à la volonté d’avoir raison, de renoncer à toute rumination intérieure, au ressentiment, à la rancune, à la haine, au désir de vengeance et à la tentation de vouloir se faire justice par soi-même qui expriment la tendance réactionnelle dans l’être humain. Le pardon est libération de l’emprise du mental, ouverture à la vie, passage à un autre plan de conscience et voie vers la paix et l’unité intérieure.
La pacification du cœur par la cicatrisation de la blessure
est un préalable au pardon
Pardonner ou demander pardon est de notre entière responsabilité. C’est le fruit d’un cheminement personnel.
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Le pardon est un acte d’amour gratuit
qui n’attend pas de réciprocité
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Le pardon, clé du vivre ensemble
On ne peut vivre ensemble sans qu’apparaissent des tensions, voire des conflits. Ceux-ci résultent des différences de sensibilité, de points de vue, ainsi que des différences culturelles, sociales ou religieuses. Ils sont surtout la friction des egos. En ce sens, la voie du pardon est incontournable. Elle est possibilité de dépassement et de réconciliation, tout en nommant ce qui fait obstacle à la relation, ce qui a blessé. Elle permet ainsi d’accéder à une connaissance de soi et de l’autre pour un approfondissement de la relation.
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Pour lire l’article en entier, Reflets n° 23 pages 23 à 25