Le bonheur, c’est avec les autres
Matthieu Ricard
Qu’est-ce que le bonheur ?
Le bonheur conçu comme une manière d’être — et non pas comme une succession incessante de sensations plaisantes, ce qui est plutôt une recette menant à l’épuisement — résulte d’un ensemble de qualités humaines fondamentales amenées à leur point optimal : la bienveillance, la force et la liberté intérieures, l’équilibre émotionnel, la sérénité, l’humilité, la cohérence éthique et bien d’autres encore. Chacune de ces qualités est une aptitude que l’on peut développer au travers d’un entraînement de l’esprit.
Nous avons affaire à notre propre esprit du matin au soir. Il peut être notre meilleur ami comme notre pire ennemi. Nous devons faire tout notre possible pour améliorer le monde extérieur — bien sûr remédier à la pauvreté, aux inégalités et aux conflits, etc. — mais nous pouvons aussi agir pleinement sur notre état d’esprit et atteindre ainsi les ressources intérieures nous permettant d’appréhender les vicissitudes de la vie.
Le plaisir peut s’appuyer sur l’illusion,
mais le bonheur repose sur la vérité
Dans le bouddhisme, le terme sanskrit sukha désigne un état de bienêtre qui naît d’un esprit exceptionnellement sain et serein. C’est une qualité qui sous-tend et imprègne chaque expérience, chaque comportement, qui embrasse toutes les joies et toutes les peines. Le bonheur, c’est aussi un état de plénitude durable qui va de concert avec la sagesse et se manifeste quand on s’est libéré de l’aveuglement mental et des émotions conflictuelles. Cette sagesse permet de percevoir le monde sans voiles ni distorsions. On retrouve bien sûr cette approche parmi les penseurs occidentaux. Selon Chamfort, par exemple, « le plaisir peut s’appuyer sur l’illusion, mais le bonheur repose sur la vérité ». Stendhal, quant à lui, écrivait : « Tout malheur ne vient que d’erreur et tout bonheur nous est procuré par la vérité. » La connaissance de la vérité est donc une composante fondamentale du bonheur véritable. Être en adéquation avec la vérité n’est-elle pas l’une des qualités premières de la sagesse ?
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Le bonheur est-il le plus important dans l’existence ?
Personne ne se réveille le matin en souhaitant : « Puissé-je souffrir toute la journée et, si possible, toute ma vie ! » Adroitement ou maladroitement, nous aspirons tous à « mieux être », que ce soit par le travail ou l’oisiveté, par les passions ou le calme, par l’aventure ou le train-train quotidien. Pour Aristote, le bonheur « est le seul but que nous choisissions toujours pour lui-même et jamais pour une autre fin ». Quelle que soit notre manière de le rechercher, et qu’il s’appelle joie de vivre ou devoir, passion ou contentement, le bonheur conçu comme l’accomplissement de nos aspirations les plus chères n’est-il pas le but de tous les buts ? Encore faut-il chercher le bonheur là où il se trouve et ne pas lui tourner le dos. D’où, de nouveau, l’importance du discernement entre ce qu’il convient d’accomplir et d’éviter, de la sagesse qui appréhende la réalité telle qu’elle est.
Ceci dit, le bonheur n’existe pas comme une entité séparée du reste de notre expérience.
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Par quel moyen parvenir au bonheur ou à ce qui vous paraît le plus important dans l’existence ?
Notre vie entière est intimement liée à un très grand nombre d’êtres et notre bonheur passe nécessairement par celui des autres. Vouloir construire notre bonheur sur la souffrance d’autrui est non seulement amoral, mais irréaliste. En effet, tout changement important qui se produit quelque part dans le monde a des répercussions sur chacun d’entre nous. Nous devons donc nous sentir concernés dans nos pensées et nos actes par le bien-être de tous les êtres. D’où l’importance essentielle de la notion de non-violence entre les hommes, non-violence à l’égard des animaux et non-violence encore à l’égard de l’environnement.
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Pour lire l’article en entier, Reflets n° 30 pages 46 à 50