Au cœur de l’occident mystique
L’image ou le symbole de la montagne appartiennent à la plupart des sensibilités spirituelles de maintenant et du passé.
L’ascension, avec son corollaire de dépouillement et d’abandon progressif de soi-même dans la montée vers le sommet intérieur, est présente dans des langages et pratiques spécifiques, et cela dans toutes les spiritualités.
Cette montée vers le « Très Haut », est aussi une contemplation de ce lieu
où ciel et terre se rejoignent et où se perçoit une énergie inaccessible à l’être humain. Chacun d’entre nous peut le voir ou le pressentir dans les flamboiements du crépuscule comme nous le montre la photo des hauts de monts des Vosges en Alsace. Cette illustration aux couleurs pourprées illustre aussi combien ces lieux particuliers que sont les sommets ont toujours été vécus comme des endroits privilégiés de la manifestation des énergies divines. Ainsi en a-t-il été par exemple de la démonstration sous des formes telluriques et cosmiques de Dieu sur le Mont Sinaï.
Que vient nous dire où plutôt exprimer, les particularités de l’Occident mystique ? Il est bien sûr l’héritier de la tradition chrétienne des dépouillements essentiels mais dans une coloration qui lui est propre. Le Sermon des Béatitudes (du latin béatitudo signifiant bonheur) en est le premier nom ou la première étape.
Le Sermon des Béatitudes et l’Occident mystique
Le Christ commence son parcours évangélique par le récit de l’ascension du Mont dit depuis Mont des Béatitudes, d’où il va prononcer ses huit Béatitudes, des paroles révolutionnaires où toutes les perspectives habituelles s’inversent. Rappelons brièvement ses paroles : « Jésus gravit d’abord un Mont puis il s’assit et les enseigna en disant ….. ‘’Heureux les pauvres en esprit car le royaume des cieux est à eux…heureux les affligés car ils seront consolés’’ ».
Se déclinent après les étapes du dépouillement pour qu’advienne l’essentiel : miséricorde, transparence, douceur, dépossession, joie… pour en arriver à l’ultime marche où tout l’horizon se découvre.
Ce texte inspiré sera, tout au long de son histoire, l’un des fils conducteurs de l’Occident mystique.
Le sommet de la montagne et l’honneur de Dieu
Les figures de Thérèse d’Avila (1515-1582) et Jean de la Croix (1542-1591), tous deux reliés dans leur vie espagnole comme dans leurs témoignages ultérieurs, sont riches d’enseignement pour nous. Ce sont des phares de l’Occident mystique. Jean de la Croix nous a légué son ouvrage « Le Mont Carmel » où il décrit l’ascension mystique vers Dieu. Pour lui, cette voie est proposée à tous et toutes. Il la traduit par une affirmation coup de poing « Nada, Nada, Nada…Rien, Rien, Rien » …. À travers l’abandon de tout le créé, le spirituel chrétien s’élance dans les eaux de l’infini. Il entre dans le total renoncement et dans l’ignorance absolue : « Pour arriver à ce que vous ne savez pas, il faut passer par ce que vous ignorez…car pour arriver au tout du tout, vous devez renoncer au tout du tout. »
La montagne intérieure et les mystiques rhénans
Les mystiques rhénans jalonnent ces chroniques. S’ils ont tous évoqué dans leurs vies les passages sur la montagne, Maître Eckhart le résume à sa façon poétique et elliptique à partir de l’expérience de la Trinité : « Les Trois sont Un. Quoi ? Le sais-tu ? Lui seul sait ce qu’Il est… Ce point est la montagne à gravir sans agir… C’est lumière, c’est clarté, c’est la ténèbre, c’est l’innommé, libéré du début ainsi que de la fin. »
Ignorance, liberté, déconditionnement de soi-même forment un chemin que chacun gravit dans la paix pour découvrir l’essentiel de maintenant où tous les contraires apparents s’effacent.
La nuit comme le jour
Si l’orient est fasciné par la lumière à travers son iconographie où ruisselle l’Esprit Saint, l’Occident le sera bien davantage par le passage dans la nuit, cette nuit plus aimable que le jour pour Jean de la Croix.
Il reprenait ainsi dans sa vie l’expérience immémoriale du Psaume 139 que nous pourrions méditer au fil des jours :
« Que me presse la ténèbre,
Que la nuit soit pour moi une ceinture.
Même la ténèbre n’est point ténèbre devant Toi,
Car la nuit comme le jour illumine. »
Dans l’apparent désordre et obscurités de nos sociétés
où la dimension nocturne semble l’emporter, le psalmiste d’il y a trois mille ans et à sa suite les mystiques de l’Occident mystique n’oublieront jamais les leçons de vie que nous apporte la sagesse de la nuit… Des déconstructions apparentes et des avancées dans nos nuits obscures jaillissent des flots d’eaux vives et fertiles qui nous font retrouver le goût et le sens de nos vies. La montagne devient alors une source comme l’écrit Jean de la Croix dans son poème sur la nuit obscure :« Je la connais la source qui coule et se répand. Cette fontaine est cachée. Son origine, je l’ignore : elle n’en a pas. Mais je sais que tout être tire d’elle son origine. »
La géographie de l’Occident mystique est parsemée de ces lieux au-delà du temps. Nous en verrons quelques exemples dans le cadre des chroniques qui suivent : la Chartreuse au creux des Alpes, le Mont-Saint-Michel ou la montagne dans l’océan, le Mont Saint-Odile en Alsace ou l’ouverture des yeux, le Mont Cassin en Italie ou la renaissance permanente par-delà nos morts successives. Chacun de ces lieux a une résonance particulière pour notre temps. C’est pour cela qu’une figure spirituelle chargée de l’énergie de ces endroits privilégiés sera associée à ce propos comme Thomas Merton (1915-1968) pour les Chartreux.
http://www.laspiritualitedelabeaute.fr/
Gérard-Emmanuel Fomerand
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