Au cœur de l’occident mystique
Hildegarde de Bingen (1098-1179) est une moniale des débuts de la spiritualité rhénane, mystique, visionnaire et paradoxalement femme d’influence car elle fut la conseillère de monarques européens, de plusieurs papes et de l’empereur du Saint Empire Romain Germanique. Sa figure a déjà été évoquée de façon allusive au cours de ces chroniques sur l’Occident mystique mais dans cet article, nous présenterons en profondeur celle qui est sans doute la première source de la spiritualité rhénane qui perdurera pendant près de cinq siècles.
Après un long oubli, elle est redécouverte à l’époque contemporaine dans toute son immensité. Tel est bien le projet de cette série de chroniques sur l’Occident mystique… Retrouver nôtre mémoire dans les temps troublés qui sont les nôtres à travers les enseignements des maîtres spirituels qui ont jalonné quinze siècles, de la fin de l’empire romain à nos jours.
La vie d’Hildegarde de Bingen
Dès sa plus tendre enfance, elle fut gratifiée de visions d’un Dieu dépassant l’entendement et toutes les frontières car il s’élargissait au-delà de toutes les formes concevables tout en se reflétant dans l’être humain. Elle visualisait ainsi un homme aux bras étendus dans un grand cercle. Nous avons là l’une des premières références au rapport étroit entre le macrocosme et le macrocosme unis dans un miroitement sans fin que reprendra plus tard Léonard de Vinci.
Devenue moniale bénédictine puis abbesse d’un monastère, elle ne commença à écrire ses visions qu’après avoir consulté ses accompagnants spirituels et notamment le plus grand de son temps, Bernard de Clairvaux (1097-1153). Sa légitimité visionnaire fut aussi reconnue par un concile et par les papes. Ceci peut faire mieux comprendre son surnom de Sybille du Rhin.
Que nous disent ses visions ?
Dans son livre des œuvres divines « Scivias » (du latin Connais les voies du Seigneur), elle écrivait que quelque part, l’univers et l’homme étaient Un car tous deux de source divine.
Hildegarde nous affirme qu’elle était en pleine conscience : « Tout ce que j’ai écrit lors de mes premières visions, c’est au mystère des cieux que je le dois. Je l’ai perçu et écrit en pleine conscience… Je contemplais alors dans le secret de Dieu, au cœur des espaces aériens de midi, une merveilleuse figure. »
Et la première image qui lui vient est celle de la Trinité, perçue en substrat du cosmos dans la circulation sans fin de cette énergie d’amour comme substance de l’univers. Cette affirmation d’un amour plus grand que tout, à la fois impalpable et indicible, est l’essence du message chrétien et cela à toutes les époques. Christiane Singer nous le disait dans la précédente chronique.
La thérapeute
Hildegarde est, encore une fois, la première dans l’exploration d’un héritage qu’aujourd’hui nous appelons naturopathie. Elle observa et travailla sur plus de trois cents plantes pour identifier leurs propriétés médicinales. Elle ajouta à ce champ thérapeutique d’autres éléments tels que les animaux et les oiseaux. Elle en dériva une pharmacopée que les naturopathes reprennent actuellement notamment en Allemagne, la médecine hildegardienne. Il est intéressant de noter au passage que la médecine occidentale, qui n’a que deux siècles d’existence, redécouvre actuellement ces thérapies oubliées dont Hildegarde est l’une des sources.
La femme d’action
Moniale et visionnaire, Hildegarde acquit une aura européenne. C’est aussi une féministe avant l’heure qui se permettra de rappeler ses devoirs au Pape Eugène III. Elle fut même, à partir de ses 70 ans, prédicatrice. Il est à peu près impossible de citer ses nombreuses activités. Elle se fit par ailleurs illustrative de ses propres visions. Musicienne, elle composa des thèmes musicaux pour les liturgies.
Elle appartenait dans les faits à une très ancienne tradition biblique, celle du prophétisme qui, en son sein, porte la contestation des pouvoirs politiques illégitimes comme l’ont été de nombreux prophètes d’Israël à l’encontre des rois bibliques. L’ampleur de sa spiritualité et de son savoir amena le pape Benoît XVI en 2012 à la proclamer Docteur de l’Église.
Hildegarde de Bingen pour notre aujourd’hui
Les nombreuses facettes de cette spirituelle chrétienne en font une sorte de mère à long terme de sensibilités contemporaines très variées. Féministe, écologiste, mystique, guide spirituel, conseillère politique, artiste, elle était un peu tout cela.
Ses intuitions de l’unité du cosmos et de l’homme à travers des énergies d’amour sont une référence pour tous ceux et celles en quête d’harmonie intérieure et de pacification toujours très actuelle dans un monde qui se cherche et se combat. Ses héritiers ou héritières sont innombrables. À dire vrai, nous le sommes tous et toutes sans bien sûr forcément le savoir. Les contemplations d’Hildegarde d’un homme porteur de l’univers et de la Trinité ne font-elles pas penser à cet homme capable de Dieu dont parlait de nos jours Maurice Zundel (1897-1975) ? Et cet homme doit gravir les étapes de sa montagne intérieure pour regarder l’infini au fond de lui. Nous verrons dans nos prochaines chroniques l’importance de la symbolique de la montagne au cœur de l’Occident mystique.
http://www.laspiritualitedelabeaute.fr/
Gérard-Emmanuel Fomerand
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