Docteur en psychologie, Jacques Lecomte a enseigné à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense (anciennement université Paris X) et à la faculté des sciences sociales de l’Institut catholique de Paris. Il est le président d’honneur de l’Association française de psychologie positive et, par ailleurs, l’auteur de nombreux ouvrages dont La Bonté humaine Altruisme, empathie, générosité ; Le Monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez ; Guérir de son enfance ; Les entreprises humanistes Comment elles vont changer le monde.
Son blog : http://jacques-lecomte.fr/506/
Pour notre dossier sur le bonheur, j’ai trois questions à vous poser parce que vous en parlez dans votre livre. La première question est : qu’est-ce que le bonheur ?
Dans la philosophie grecque, le bonheur c’est la raison d’être de l’existence. Mais en fait, il y avait deux courants, deux mots qu’aujourd’hui on traduit toujours par « bonheur » mais qui étaient très différents chez les philosophes grecs. Il y avait ceux qu’on appelait « les hédonistes » : ils disaient qu’en gros, le bonheur, ce sont les plaisirs de la vie, c’est une accumulation de plaisirs momentanés. Et, c’est moins connu, il y avait « les eudémonistes » comme Aristote, Socrate, Platon qui disaient que le bonheur, c’est d’une part une activité philosophique, et d’autre part l’engagement dans la cité.
C’était il y a très longtemps, mais ça a du sens aujourd’hui, que je résume en disant que d’un côté vous avez le bonheur exprimé par le bien-être, ce sont des émotions momentanées, et puis le bonheur qui est plutôt de l’ordre du sens.
Ces philosophes se critiquaient très fortement à ce sujet. Moi, il me semble que le bonheur, c’est précisément l’association des deux. Ce n’est pas l’un ou l’autre mais l’un et l’autre, c’est-à-dire lorsqu’il y a à la fois du bien-être et du sens. Le bien-être est de l’ordre de l’émotionnel, du momentané, tandis que le sens rejoint la réflexion, le cognitif, dans une notion plus durable. Mais les deux sont importants : par exemple, passer du bon temps avec des amis peut donner du bien-être si c’est un moment agréable, et du sens si ce moment est marqué par une certaine intensité dans la relation. Mais cette association des deux n’est pas forcément au même instant : si je regarde un film comique, je peux être dans le bien-être, mais pas dans le sens. On peut être heureux, sans avoir forcément ces deux facettes au même moment.
Vous avez dit au début que pour les anciens, le bonheur est la raison d’être de l’existence. Est-ce que pour vous sa recherche est la chose la plus importante ?
Non, je pense que c’est un piège. Les gens les plus heureux ne sont pas obligatoirement ceux qui sont en quête de bonheur. Le bonheur est quelque chose qui arrive de surcroît, sans qu’on le cherche forcément. Je donne un exemple que j’ai notamment décrit en détail dans mon livre sur la bonté : on sait que les gens altruistes ont un niveau de bonheur supérieur à la moyenne. Je ne dis pas qu’ils sont tous heureux. Ce comportement les rend heureux mais ils ne l’ont pas fait pour cela, ils n’ont pas été en quête du bonheur. Ils ont simplement cherché à répondre au besoin d’autrui. C’est un peu comme l’insomnie : si vous luttez pour trouver le sommeil, vous risquez de ne pas le trouver ; si vous cherchez à tout prix le bonheur, vous risquez de ne pas le découvrir.
Et qu’est-ce qui vous paraît le plus important dans l’existence ?
Pour moi, il n’y a pas « le plus important dans l’existence » parce que ce qui est le plus important pour quelqu’un n’est pas forcément la même chose pour une autre personne. Donc je dirai, globalement, que c’est peut-être donner du sens à sa vie. Et la manière de donner du sens peut être très différente d’une personne à l’autre.
Pour lire l’article en entier, Reflets n° 30 pages 43 à 45