Au cœur de l’Occident mystique
Gérard-Emmanuel Fomerand est analyste du phénomène chrétien. Il le réalise a travers des livres et des émissions de radios. Il développe actuellement un essai d’introspection de l’inconscient collectif occidental du christianisme, à travers ses réussites, ses échecs et sa modernité. Il explore ainsi les commencements sans fin d’une spiritualité que, sans le savoir forcément, nous portons au plus profond de nous-mêmes.
« Aux origines de la mystique d’Occident, un chant d’amour aux échos innombrables »
Il est incontestable que les racines de ce qui sera plus tard, et assez rapidement, l’Occident mystique, puisent dans le terreau fertile de l’ancienne Palestine et notamment du lignage hébraïque. L’amour, dans toutes ses compréhensions est au cœur de cette matrice hébraïque.
L’évangéliste Jean le rappellera dans sa première épître « Dieu est amour ». Cet amour absolu, cet amour d’absolu se déclinera dans des visages multiples, par-delà les errances historiques des Eglises. Et cet amour prendra une connotation particulière dans le futur christianisme occidental. Il est en germe très tôt, presque à l’âge apostolique, dès les années 110, avec un chant d’amour qui sera l’un des socles mystérieux de la spiritualité d’Occident. Il en sera l’un de ses marqueurs permanents jusqu’à nos jours.
Un étrange chant d’amour
La référence au Cantique des Cantiques est bien sûr hébraïque, comme un bijou étincelant au cœur de la Bible. Nourri de cet héritage, un homme parfaitement anonyme, qui avait connu ou approché les Apôtres, va écrire un magnifique poème où se superposent le langage amoureux voire érotique et l’expérience de l’entrée dans le divin, en devenant vraiment fils de Dieu. Il s’agit d’un texte intemporel qui marquera jusqu’à nos jours l’Occident mystique. Voilà quelques lignes extraites de ce mystérieux texte :
« Qui peut comprendre l’Amour,
Sinon celui qui aime ?
Je brûle pour l’Aimé, mon âme l’aime.
Je suis épousée car l’Amant a trouvé celui qu’Il aime.
Puisque je l’aime, lui le Fils, je deviendrais fils. » (CLD, p.37)
Dans ce langage, l’Amant divin, ou le Seigneur, épouse l’âme humaine, ici indifférenciée entre homme et femme, pour lui faire connaître Dieu.
Mais ce texte, qui utilise le langage de l’Eros, a aussi un sens incarné que ne manqueront pas de lui donner les siècles ultérieurs.
Des sens multiples et aux éclats sans fin
Depuis l’origine des temps historiques voire avant, ces textes amoureux ont existé, notamment dans l’aire mésopotamienne et en Egypte, où la sexualité et le sacré se mêlaient étroitement, notamment dans les unions sexuelles ritualisées entre le Roi et une femme prêtresse, dans le cœur des temples, symbolisant l’union du ciel et de la terre. On parlait alors de hiérogamies.
Le christianisme originel, et le judaïsme, ont eu ce double héritage, entre paix et passions, ciel et terre, celui que l’homme peut atteindre c’est-à-dire un état pacifié, primordial, unifiant, une fois que l’inconnaissable divin aura dépassé et remplacé le cœur de pierre par un cœur de chair comme nous le dit le Prophète Ezéchiel. Au-delà des passions et paradoxalement grâce à elles, « l’homme noble » diront bien plus tard les spirituels rhénans au XIV ème siècle, est l’étape finale probable de l’humanité
Au-delà de la mer de nuages, un ciel apaisé
Une spirituelle contemporaine, une moniale toujours de ce monde, disait dans un courrier privé anonymé naturellement ici, que les avions, symboliquement nous-mêmes, traversaient toujours une mer de nuages, avant d’arriver à un ciel apaisé dans le silence et la beauté d’horizons sans limites.
Il y a là une petite méthode sans méthode pour le quotidien le plus incarné : faire la paix avec nos passions en les transmutant grâce au silence intérieur. Cette approche, qu’on l’appelle méditation ou oraison, vécue dans le quotidien, peut être très concrètement le terreau fertile d’un changement racinaire de l’humanité. Traversons nos passions, grâce à la pratique du silence intérieur, pour en faire des graines de paix et cela de façons presque prosaïque, au jour le jour, par un retournement, en changeant notre regard profond, sans se juger, sans juger l’autre ou les autres, être en paix pour faire la paix. Et cela nous appartient dans notre liberté quels que soient les chemins que nous choisissions, la voie du couple ou la voie des moines ou moniales, le point d’arrivée est le même.
Le chant d’amour, au cœur de la spiritualité occidentale
Les deux voies qui viennent d’être dégagées et qui en fait n’en sont qu’une, avec leurs éclats dérivés, permettent de mieux comprendre le sens profond et particulier de la mystique de l’Occident. Elles sont sources fécondes et porteuses de sens et d’avenir de cette parole universelle qu’est la Parole Christ et de son développement apostolique. Il y a bien une rencontre amoureuse entre l’homme et la femme se transmutant dans un « Grand-Autre » proposé à l’être spiritualisé et une autre voie de la rencontre aimante entre l’être humain et Dieu, la voie du Un. On pourrait le dire d’une autre façon en évoquant les deux voies offertes, la voie du couple et/ ou du moine. Chacune de ces deux voies va elle-même connaître de nombreuses transmutations. Nous en verrons d’innombrables illustrations tout au long de cette série de voyages au cœur de la mystique occidentale. Mais cette entrée dans l’amour, déjà duelle dans sa première approche, se répand en se fragmentant en une multitude de mouvances et de se sensibilités. Le grand paradoxe de l’Occident mystique est celui d’une apparence uniforme, grâce à la « grande Église », catholique en l’occurrence, et en réalité d’une multitude de tendances, toutes centrées sur des expériences multiformes et diverses de l’entrée dans le mystère divin et le ciel que nous portons en nous. Cette multiplicité unitaire des expériences des chercheurs et chercheuses de Dieu renverra à des verbalisations différentes, appelée souvent « Néant divin » ou « Nuée d’inconnaissance ». Nous le verrons plus tard dans le déroulement de cette rubrique « Échangeons ».
Accueillir le présent dans notre pratique quotidienne
Cette rubrique ne sera surtout pas une encyclopédie académique du savoir documenté des spirituels chrétiens, une autre histoire des religions, mais la restitution d’une expérience spirituelle, un présent pour notre quotidien d’aujourd’hui.
Comme l’écrivait Angélus Silesius (1624-1677), l’un des derniers fleurons du « Rhin mystique » :
« Arrêtes toi. Où cours-tu ?
Le ciel est en toi.
Si tu cherches Dieu ailleurs,
Tu le manqueras a coup sûr. »
Gérard-Emmanuel Fomerand
podcast d’une émission sur ce sujet? https://radio-eipm.fr/podcast/
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