Au cœur de l’Occident mystique
Le terme d’amitié et donc d’ami recouvre bien des réalités souvent subtiles car les frontières avec l’Amour sont poreuses. Il s’agit d’une affection réciproque mais qui n’a pas d’incarnation charnelle. Elle se vit sur le mode d’une empathie ou d’une compréhension croisée. Et dans cette rubrique nous évoquerons une amitié spirituelle spécifique puisque Dieu fait partie de la relation « amicale».
Les amis de Dieu sont apparus au début du XIV ème siècle, tout au long du « Rhin mystique » de façon spontanée et largement informelle dans le besoin de l’époque de vivre une amitié entre humains baignant dans une atmosphère évangélique et de fraternité, « réunis en Dieu » se ressourçant dans l’inépuisable fontaine biblique. Ce retour à la Bible et aux origines de la première Église est un besoin très fort de nôtre présent et une attente de nombreuses personnes en quête de sens spirituel ce qui laisse redécouvrir une spiritualité à la fois ancienne et étonnamment actuelle.
La Bible aux sources des Amis de Dieu
L’amitié avec Dieu est assez souvent évoquée dans le texte biblique directement ou allusivement. Par exemple, Abraham est nommé « Ami de Dieu » par l’Éternel ainsi que Moïse (Ex 33, 11). Dans l’Évangile de Jean, l’amitié du Christ, Voie vers un Dieu inconnaissable dans ses propos explicites, se conjugue au pluriel car Il dit à ses disciples « Vous êtes mes amis…Je ne vous appelle plus serviteurs…mais je vous appelle mes amis » (Je 15, 14-15). Ces Amis de Dieu de la fin du Moyen-Age reçurent ces paroles bibliques comme des signaux de vie spirituelle à vivre dans leur expérience de vie. Et en ce début du XIV ème siècle, l’attente diffuse d’une renaissance de la vie en Dieu se répandit comme une traînée de poudre dans l’espace rhénan.
Les amis de Dieu ou une étrange modernité
Ce bourgeonnement des Amis de Dieu eut lieu dans une période extrêmement troublée de l’Occident qui n’est pas sans rappeler la nôtre.
Bien sûr, les contextes sont différents entre cette époque et la nôtre mais il n’en demeure pas moins d’étranges proximités. Le climat de l’époque est, en effet, très perturbé, comme le nôtre, par des crises politiques multiformes (crise de la papauté, conflits entre états européens), économiques avec des chutes considérables de production, et sanitaires avec la propagation de l’épidémie de peste noire. L’attente spirituelle est massive et l’Eglise catholique institutionnelle ne répond plus vraiment aux aspirations collectives. N’y a-t-il pas comme un air de ressemblance avec nôtre époque ?
L’histoire de ces Amis de Dieu reste encore largement à écrire tant ses origines et leur large diffusion dans la vallée rhénane demeure mystérieuse. Si la figure du strasbourgeois Jean Tauler (1300-1361) est bien documentée et redécouverte actuellement, d’autres personnes restent entourées d’un halo de mystère comme le bâlois Henri de Nördlingen (vers 1300-1351), prêtre itinérant et Rulman Merswin (1307-1382) également de Strasbourg. Ils reste d’eux des traités à coloration mystique et surtout la création a Strasbourg d’une fraternité à mi- chemin entre le laïcat et le clergé qui se nommait « L’ile verte » ouverte a toutes et toutes sans conditions sociales particulières.
Un réseau d’Amis de Dieu et non une institution
Sans aucune coordination préalable ou mandat d’église, un peu partout entre Bâle et Strasbourg, voire au-delà, se mirent en place des communautés ouvertes et souples, centrées sur la Bible et la vie fraternelle. Si elles précédent d’environ un siècle la Réforme protestante qui aboutit à une rupture avec l’Eglise catholique romaine, elles se situent dans la mouvance de cette Église, avec une distance incontestable mais sans vraiment la remettre en cause.
Pour ces Amies et Amis de Dieu, l’essentiel était ailleurs. La forme institutionnelle n’était pas une fin en soi pour eux mais un des lieux possibles de l’expérience de la vie en Christ. Le plus important était de vivre dans l’amitié de Dieu, sa proximité, son imitation, sans spéculation théologique. Ce terme d’imitation eu une fortune considérable car dans cette même aire rhénane et presque au même moment, cette spiritualité de l’imitation du Christ fut publié un écrit, anonyme à la fin du XIV ème, puis ensuite attribué à Thomas A Kempis (1380-1471) « L’imitation de Notre Seigneur Jésus Christ » qui connut un immense succès éditorial. Il fut tiré en plusieurs millions d’exemplaires, en deuxième rang de tirage après la Bible et cela jusqu’à nos jours. Dans la tradition chrétienne, Dieu est totalement inconnaissable et la seule façon de l’approcher était de prendre la figure du Christ comme guide de vie. En ce sens ces Amis de Dieu ne faisaient qu’appliquer la parole du Christ disant que si Dieu nul ne le connait, le Christ l’a fait connaître car il est la Vie et la Voie vers Lui. Sur ce point, les Amis de Dieu étaient semblables aux premiers disciples de l’ère chrétienne car ils ne s’appelaient pas alors chrétiens mais disciples de la Voie, du moins jusqu’aux environs de l’an 60. Ils ou elles sculptaient leurs vies, au fil des jours, pour que se dessine peu à peu, la magnifique statue de l’homme intérieur.
La vie d’un ami de Dieu
Elle était d’une simplicité absolue et n’était que l’illustration de la vie du Christ. Il est impossible de dresser une liste des comportements au quotidien de ces personnes ancrées en Dieu. De plus étant toutes différentes et pratiquaient une spiritualité du quotidien qui pouvait varier à l’Infini.
On peut simplement donner quelques marqueurs entre bien d’autres : écoute, silence, bienveillance, humilité, prière, méditation, imprégnation biblique, fraternité mutuelle. Tous ces éléments étaient vécues au sein de communautés accueillantes ouvertes à tous et toutes, sans règles codifiées. On ne peut que supposer, vue l’atmosphère de mystère qui les enveloppe, qu’ils devaient probablement suivre de près ou de loin, le rythme des temps monastiques. Soit ils les réunissaient en trois offices quotidiens soit ils le vivaient autrement. Ce que l’on sait par contre est que leur témoignage marqua tellement cette époque troublée du XIV ème siècle qu’il entraîna des centaines de milliers de personnes dans ce type de vie
Les Amis de Dieu, une voie pour notre temps ?
Cette référence aux Amis de Dieu réapparaît en Occident paradoxalement et logiquement dans la crise profonde que traversent les églises toutes appellations confondues. La forme ecclésiale ou son nom, c’est-à-dire l’extériorité, ayant été longtemps confondue avec le fond, ou la vie en Christ, cette voie hors normes et paisible revient au la surface sous des noms et appellations cousines : églises de maisons, voire groupes Internet comme la Source Intérieure aisément consultable sur la Toile en entrant dans le lien « La source intérieure-You Tube». À Strasbourg, ville emblématique des Amis de Dieu, se met en place depuis un an, un groupe informel des Amis de Dieu. Dans notre société en quête de sens, on peut dès lors se poser la question… et si le christianisme ne faisait que commencer ?
http://www.laspiritualitedelabeaute.fr/
Gérard-Emmanuel Fomerand
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Cette publication a un commentaire
La Chronique de Gérard-Emmanuel Fomerand m’est très inspirante. Comme une invitation au voyage sur les bords du Rhin . A la lecture des rubriques, je trouve très intéressant le lien qu’il établit entre l’époque de la” spiritualité rhénane “et la nôtre nous invitant vers plus d’intériorité.