Un dialogue social à réinventer
Michel Sailly
Michel Sailly, diplômé en ergonomie au Cnam, a été ergonome durant de nombreuses années au sein du groupe Renault, puis chez Nissan au Japon. Membre du conseil d’administration de Renault de 2009 à 2011, il est membre du groupe ressources de la FGMMCFDT sur la qualité de vie au travail.
Selon votre approche, quelle est la place du travail dans l’existence humaine ?
Les métiers et statuts d’emploi sont en constante mutation, modifiant le contenu du travail et des compétences requises. Les délocalisations ont réduit l’emploi industriel en France, même si une inversion du mouvement se dessine. Les activités de prestation de service se sont développées du fait du recentrage des entreprises sur leur cœur de métier. L’émergence de plateformes numériques et/ou de start-up transforment actuellement les relations de dépendance entre les salariés ou actifs et les employeurs. La porosité de plus en plus forte des entreprises à leur environnement influence les rapports de pouvoir entre entreprises elles-mêmes. Certaines de ces évolutions interrogent effectivement la place du travail dans l’existence humaine. Personne ne peut sérieusement prédire ce qu’il adviendra pour les générations à venir, mais considérer dès à présent la fin du travail, c’est s’interdire de peser sur son évolution et laisser se développer de nouvelles formes d’aliénation. Je pars délibérément du point de vue que la valeur travail est essentielle pour le développement de soi, pour donner du sens à sa vie. Le travail peut être source de souffrance, mais il est aussi source de plaisir, de construction de soi, de fierté, d’identité individuelle et collective au travers de la production d’un produit et d’un service pour des clients ou usagers, au travers de la création de richesses pour la société. Il faut agir sans relâche à la création ou revalorisation de la valeur du travail. Même si cela commence dès le plus jeune âge par l’éducation, le travail doit être cette expérience de relations avec d’autres, d’échanges, de confrontations constructives, de développement personnel et collectif. La société ne sera démocratique que si les salariés peuvent éprouver de la liberté dans leur travail. D’où l’importance de s’impliquer sur la qualité du travail, sur son organisation, sur le management et le fonctionnement de l’entreprise, dans le cadre d’un dialogue social à réinventer ou à reconstruire.
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Comment voyez-vous les temps à venir avec la robotisation remplaçant autant le travail manuel qu’intellectuel ?
D’importantes évolutions sont effectivement devant nous. On entre dans une phase où la robotisation ou numérisation ne sera plus conçue uniquement pour substituer du capital au travail, mais pour analyser d’énormes quantités de données, proposer des diagnostics et orienter les décisions. L’avantage de cette capacité de traitement des données peut être contrebalancé par des processus de gestion encore plus centralisés, aggravant l’impuissance des collectifs de travail à appréhender la complexité des systèmes, tant du côté des attentes des clients que des conditions réelles de production de valeur. La robotisation se poursuivra par ailleurs dans tous les secteurs d’activités, et pas seulement dans l’industrie. Les salariés verront arriver des robots collaboratifs, aussi désignés « cobots ». Il s’agit de robots de petite taille pouvant fonctionner à proximité de l’opérateur. Il peut aussi s’agir de bras articulés accompagnant les gestes d’un opérateur pour exécuter des opérations de précision ou pour soulager l’effort physique. La numérisation, comme la robotisation, auront des impacts importants sur l’emploi et les compétences. S’y opposer serait vain et ne ferait qu’alimenter cette rumeur propagée par les politiques et dirigeants qui voudrait que les salariés refusent le changement. Précédemment nous avons insisté sur la démocratisation du travail qui implique une animation du progrès continu par le bas de la hiérarchie. La numérisation et la robotisation sont des processus de décision venus du sommet. En s’appuyant sur le terreau de la démocratisation du travail, trois conditions indissociables doivent être posées. Primo, que ces évolutions fassent l’objet d’un dialogue social avec les représentants des salariés, bien en amont des décisions, quand plusieurs hypothèses sont encore sur la table. Secundo, en veillant à ce que ces évolutions technologiques apportent une valeur ajoutée aux clients et aident les salariés dans leur travail. Tertio en faisant évoluer simultanément les compétences pour garantir que ces technologies soient maîtrisées.
Pour lire l’article en entier Reflets n° 26 pages 40 à 43