Ancien élève du Centre de formation des journalistes, Laurent Joffrin, né en 1952, possède un diplôme en sciences politiques – économie. Après avoir commencé à l’agence France-Presse, il a occupé plusieurs postes à Libération ainsi que dans l’hebdomadaire de gauche, Le Nouvel Observateur. Anciennement producteur de radio et de télévision, il a écrit une vingtaine de livres dans les domaines de la politique, de l’histoire et de la fiction historique. Il est aujourd’hui le directeur de la rédaction du journal Libération.
Les médias délivrent des informations selon leur ligne éditoriale plus ou moins explicite ; selon vous, l’information est-elle forcément partisane ?
Non, pourquoi le serait-elle ? Il y a deux exercices dans la confection d’un média, d’un journal ou d’un site. Il y a la description des faits, le récit, le portrait, le reportage. Dans les médias sérieux, c’est vérifié. L’existence d’un fait ne peut être affirmée sans avoir plusieurs sources, donc sans avoir recoupé, vérifié et consulté les sources écrites des archives. Il y a tout un travail d’authentification. Mais cela ne veut pas dire que nous sommes objectifs. Étant subjectifs nous-mêmes, nous n’atteignons jamais l’objectivité. Il y a une grande différence entre ceux qui essaient de tendre vers une certaine honnêteté intellectuelle sur la description des faits et ceux qui ne le font pas. Si ce n’était pas le cas, le New York Times et le Quotidien du Peuple de Pékin, ce serait la même chose. Or, ça ne l’est pas. Dans les pays anglo-saxons, c’est même plus net, c’est-à-dire que tout ce qui est de l’ordre de la prise de position est dans une page à part. Tous les articles sont faits à partir des règles de bon sens qui gouvernent le journalisme : vérifier, recouper, accéder à plusieurs sources, donner la parole aux divers protagonistes. Dans un journal comme Libération, les articles doivent être faits ainsi. Ils peuvent parfois avoir une coloration discrète ou involontaire, due à des préjugés ou des convictions, mais il y a des règles qui sont très précises. Si elles ne sont pas respectées, l’article n’est pas crédible.
Toutes les vérifications nécessaires sont-elles possibles aujourd’hui sous la pression économique où tout va très vite ?
Ce n’est pas nouveau, il faut toujours aller vite. Il faut boucler à une certaine heure, en général le soir si c’est pour le lendemain matin. Donc cela peut aller de 20 h à minuit. Si un évènement se produit à 18 h, nous n’avons plus que deux heures pour en rendre compte. Donc, il faut aller vite. On va toujours trop vite, pour une raison simple : les nouvelles n’attendent pas. On ne peut pas faire, le 14 septembre, un journal sur le 11 septembre, pour savoir vraiment ce qui s’est passé. C’est inhérent au métier. Heureusement qu’on va vite, sinon on ne pourrait pas lire le journal. Et il y a moins d’erreurs qu’on ne le croit. Si c’est le cas, les personnes concernées la voient tout de suite et protestent. À ce moment-là, nous devons passer un rectificatif.
Quel rapport entretenez-vous à la vérité ?
Le même que les policiers à un crime. Nous enquêtons. Parfois, nous trouvons l’assassin, parfois, non. C’est la même chose dans les journaux. Si nous voulons savoir comment le gouvernement a fait une boulette en ne votant pas l’allongement des congés consentis aux parents dont les enfants ont disparu, nous téléphonons dans les ministères, nous essayons d’avoir des sources. Si nous n’avons pas le fin mot de l’histoire, nous n’écrivons pas. Nous n’inventons pas. Ensuite, il est possible de faire un éditorial en marge pour s’indigner du fait que ce texte n’a pas été voté par l’Assemblée, mais c’est du commentaire qu’il faut distinguer du récit. Dans ce dernier, il peut y avoir des éléments de commentaires que l’on ne peut pas faire sans rappeler les faits. Si cela se recoupe un peu, ce n’est pas du tout la même chose. Si vous cherchez à donner une opinion, à étayer une thèse ou à dérouler un point de vue, ce n’est pas la même chose que si vous essayez d’écrire honnêtement ce qu’il s’est passé.
Comment améliorer la qualité de l’information aujourd’hui ?
Acheter les journaux ou s’abonner aux sites en ligne, car il faut avoir des moyens pour payer des journalistes compétents. Imaginons par exemple qu’on a inventé un nouveau moteur à hydrogène. Le journaliste en charge est censé connaître le dossier de l’hydrogène parmi toutes les sources d’énergie qui existent. Il peut donc juger de l’importance de l’évènement. Ensuite, il appelle les fabricants du moteur, les concurrents, un expert, le ministère qui lui dira si c’est un projet intéressant qu’il va soutenir, ou si ce sont des farceurs. Une fois ce travail fait, il peut écrire en connaissance de cause. Cela prend quelques heures, et le lendemain matin, voire même immédiatement sur le site, vous pouvez avoir un papier qui vous donne une évaluation de ce qu’il y a de nouveau.
Pensez-vous que ça se passe ainsi pour la situation sur le coronavirus ?
Tout dépend où vous allez chercher vos informations. Lisez Le Monde, Libération, et vous trouverez des articles sur le coronavirus qui sont écrits par des journalistes spécialistes de la santé, qui connaissent des professeurs. Il faut lire les sources fiables, celles qui sont crédibles, sinon personne ne les achète.
Le coronavirus est devenu un phénomène mondial. Les journaux ne transmettent-ils pas l’inquiétude ?
Les journaux ne transmettent que des nouvelles négatives, donc anxiogènes, mais le monde n’est pas anxiogène. Imaginez que vous habitiez un quartier où il y a un carrefour, où il ne se passe jamais rien. Quand vous rentrez le soir, vous ne faites pas remarquer le fait qu’il ne s’est rien passé, qu’il n’y a pas eu d’accident. Le jour où cela arrive, vous rentrez chez vous et vous en parlez. Vous faites comme les journaux. Vous transmettez l’information anxiogène, et vous n’avez rien dit de l’information rassurante. C’est la nature humaine, ce ne sont pas les journaux. Quand il n’y a pas d’évènements, ça veut dire que ça va bien, mais ce n’est jamais dit, et c’est peut-être un tort.
Donc nécessairement, les journaux créent de l’inquiétude.
C’est un peu inévitable. Mais ils peuvent aussi se corriger en mettant en lumière ce qui va bien, les inventions positives, les politiques publiques qui ont amélioré les choses. Mais quand l’effondrement d’un immeuble à Marseille dans un quartier insalubre conduit à la mort de quinze personnes, nous n’allons pas écrire un article sur les immeubles qui tiennent debout. Ce sont les lecteurs qui font les journaux, car c’est l’émotion qui crée leur intérêt. Cependant, il est possible de lire aussi des analyses, des explications, des raisonnements.
Pour lire l’article en entier, REFLETS n° 35 pages 44 à 47