Professeur émérite au C.H.U. de la Pitié Salpêtrière, André Grimaldi est professeur d’endocrinologie, ancien chef du service de diabétologie.
Il a publié de nombreux ouvrages sur la médecine. Après Les maladies chroniques, vers la 3e médecine en 2019, cette année parait Manifeste pour la santé 2022, éditions Odile Jacob. Nous l’interrogeons sur la situation actuelle dans les hôpitaux.
CR : Où en est la situation actuelle dans les hôpitaux ?
AG : Pour ce qui est des hôpitaux, la situation avant la Covid était déjà très critique. En novembre 2019, les hôpitaux parisiens se sont trouvés complètement débordés, avec vingt nourrissons bronchiolitiques, qui ont dû être transportés en ambulance de réanimation SMUR à plus de 200 km de Paris, crise majeure pour une épidémie programmée, attendue, pas plus grave que les années précédentes. La réanimation pédiatrique, c’est le cœur du cœur de l’hôpital public. Il y a eu un mouvement important des hospitaliers, un plan d’urgence annoncé par le Premier ministre Edouard Philippe mais aujourd’hui, la situation a empiré. Le gouvernement avait décidé 8 milliards d’augmentation sur les salaires. Le salaire des infirmières est en 28e position sur 32 pays de l’O.C.D.E. Le deuxième volet devait être une grande discussion visant à refonder le système de santé selon les propos du président qui parle de l’État providence non pas comme d’une charge mais d’une chance. Depuis plus de vingt ans, on est entré dans une logique faite de contraintes budgétaires et de gestion commerciale. Mais rien n’a changé dans le financement des hôpitaux et le budget hospitalier voté par le Parlement, décidé par Bercy sans tenir compte des médecins et des infirmières. En septembre, à l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris, 29 % des lits étaient fermés par manque de personnel. On en est à 20 % actuellement. Les soignants ne veulent plus travailler dans de telles conditions. On continue à traiter l’hôpital comme une chaîne de production. Avec la parenthèse de la première vague Covid, les soignants étaient au service des patients avec des moyens limités et des gestionnaires au service des soignants, ce qui devrait être la norme. Un bref temps où le service public en manque de tout ne gaspillait pas, sans question de tarification d’activité ; il cherchait simplement comment soigner au mieux les patients et avoir des lits libres pour accueillir ceux qui arrivaient.
La vraie vocation du service public, sans guerre de territoires.
Dès que la vague s’est retirée, ce fut pire qu’avant. Chacun a repris ses places : les managers, leurs codifications, leurs actes, leurs prises en charge de qualité dégradée. La situation est inquiétante malgré les sommes versées. On va entrer dans la période de fausses promesses et de mensonges puisque c’est une période électorale. Le ministre disait en août 2020 : on a 12 000 lits de réanimation. C’est faux, il y en a 5 000. Les débuts de la vaccination étaient complètement chaotiques, d’une impréparation totale. À chaque fois, on a l’impression d’être au bord du gouffre sans tomber, jusqu’au jour où ?!! Il y a des progrès dans la médecine de première ligne, des maisons de santé qui fonctionnent. Il y a des progrès technologiques avec les greffes d’organes pas assez citées. Mais en corollaire on assiste à une dégradation du système de santé où beaucoup de personnes âgées n’ont pu être réanimées et sont donc décédées. Cela n’est guère visible, car ce sont des personnes en fin de vie, soit une crise bien différente de celle du Sida et de ses jeunes.
D’un point de vue historique, il y a quatre médecines :
- la médecine des maladies aiguës bénignes, la gastro-entérite, la sciatique, la cystite avec une médecine de ville depuis longtemps ;
- celle des maladies aiguës graves et des gestes techniques complexes bien maîtrisés ;
- celle de l’épidémie de maladies chroniques, diabète, insuffisance cardiaque, maladies dégénératives, addictions mal maîtrisées ;
- enfin, la prévention primaire pour que la population reste en bonne santé, c’est le secteur dont la crise a démontré la carence.
Le haut comité de la santé publique, nommé par le président de la République, a pour fonction officielle la prise de décisions en cas de crise sanitaire. Est-ce un conseil scientifique pour aider aux décisions ou un cabinet privé du pouvoir ? Le conseil scientifique n’a pas son mot à dire sur les élections municipales. C’est le pouvoir qui les a autorisées. Lors du troisième confinement, le conseil scientifique a publié un avis de quatre propositions avec avantages et inconvénients, puis le président a imposé la sienne. Dans le même temps, on observe une faiblesse de la santé publique avec des résistances en France par rapport à la vaccination, aggravée par tous les scandales sanitaires, les mensonges, la confiance perdue envers le ministère de la Santé depuis l’affaire des masques. Cette épidémie a montré aussi les inégalités sociales de santé (diabète, obésité). Par exemple, le département le plus jeune de France, la Seine-Saint-Denis, a le taux de mortalité le plus élevé. Dans une logique de santé publique, on aurait mis le paquet sur la vaccination dans ce département et non en fonction de l’âge de la population. La composition du conseil scientifique ne comporte pas de non-médecins, ce qui est pourtant indispensable en santé publique. On y voit tous les défauts de notre société, y compris le défaut de fonctionnement démocratique dans la prise de décisions.
Est-ce que l’hôpital peut échapper au système économique ?
AG : C’est un sujet majeur. Nous dépensons beaucoup pour la santé, 11 % du PIB, comme les pays riches tels la Belgique, l’Autriche, le Canada. Est-ce qu’on dépense bien ? Que doit demander le politique au scientifique face à une situation nouvelle ? Au moins deux positions avec des arguments contradictoires pour que les politiques puissent faire le choix. Aucune décision n’a été expliquée (confinement, pass sanitaire, arrêt du confinement…) mais prise autoritairement créant un sentiment d’infantilisation pour 60 millions de personnes. En santé, c’est la collectivité qui paie. Nous sommes tous prêts à dépenser beaucoup plus, mais ce ne doit pas être une rente pour les nantis. Nous avons des coûts énormes (22 millions selon le dernier rapport), frais de gestion des mutuelles, de la sécu, des agences. 7.5 Milliards des mutuelles et 7.3 milliards pour la sécu alors que les mutuelles ne remboursent que 13 % des dépenses de santé. Comme tous les pays industrialisés, on a des coûts d’innovation thérapeutique absolument astronomiques, avec leur répercussion sur le vaccin. L’enrichissement des actionnaires de l’industrie pharmaceutique pose le problème d’un bien commun payé par la collectivité. C’est un souci qui est spécifiquement français. En France, le montant des dépenses, des frais de gestion est très au-dessus de la moyenne de l’O.C.D.E. à cause d’une médecine très prescriptive. Les généralistes français gagnent 1/3 de moins que les généralistes allemands. Les infirmières sont mal payées. Les hospitaliers sont plutôt moins payés quand ils ne sont pas dans le secteur privé. On a un déluge d’examens complémentaires, des ordonnances hyper longues où 20 % des prescriptions et actes sont injustifiés.
Est-ce là cette politique qui s’interroge sur la pertinence des soins ?
Cette question devrait mobiliser l’ensemble des professionnels de santé, depuis la sécurité sociale, la HAS, les enseignants, les doyens, les associations de patients, les syndicats de médecins. Pour le financement, on continue le paiement à l’acte, la tarification d’activité, ce qui revient à augmenter les actes et à faire revenir le malade. Des personnalités parlent de privatiser l’hôpital. Le président affirmait : « Ce sont des biens qui doivent échapper aux lois du marché, je prends les décisions de rupture qui s’imposent » Mais où sont-elles ? Au contraire, on ne constate que des investissements, des start-up, de l’innovation, dérivant de lobbies car trop coûteux pour la collectivité. Quelle leçon va-t-on en tirer par rapport aux autres crises qui arrivent, les crises climatiques ? La priorité est-elle dans les innovations technologiques ou bien a-t-on le courage de repenser notre mode de vie, notre société, notre civilisation ?
Cette crise a montré une solidarité commerciale européenne, mais non en termes de santé publique. Qui prend les décisions ? Pas les autorités de santé mais le politique. Les autorités politiques sont impuissantes face aux lobbies industriels, y compris dans le calcul des coûts, et l’absence de transparence. Pfizer n’a pas du tout inventé son vaccin. Il a acheté Biotec qui l’a mis en place. Pfizer a réalisé les études, et non la recherche. Les grands laboratoires n’en font plus. Ils achètent des start-up, anciens laboratoires de recherches publics, qui ont déposé des brevets. C’est un business, sans transparence sur les coûts publics, les coûts privés. Et la recherche en France est en train de décliner faute de moyens.
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Pour lire l’interview REFLETS n°39 pages 14 à 17