Qu’est-ce qui a changé dans votre activité à cause de votre âge
Devenu « sourd du travail » en 1966, portant un appareil auditif dès 1985, j’ai dû interrompre mon métier d’infirmier en 2002, ne comprenant plus les malades. Lorsque j’ai fondé ICOD, j’avais déjà près de 70 ans, et il n’a été question de ralentir mes activités qu’à cause de trois pérations abdominales majeures entre 2003 et 2005. Le ralentissement dû à l’âge n’a commencé que lorsque j’ai atteint 80 ans, et lors des chutes successives qui m’ont obligé à devenir grabataire 85 % du temps au fin fond d’un village sans route alors, et sans assistance médicale. Dès que j’ai utilisé une chaise roulante, j’ai pu continuer à visiter chacun et chacune de nos pensionnaires et des travailleurs deux fois par jour. Par contre, il m’a fallu limiter mes visites aux O.N.G. avec lesquelles j’avais travaillé les 40 dernières années. J’ai de même dû renoncer aux invitations dans les villages, lors des fêtes et cérémonies religieuses hindoues ou musulmanes. Et depuis mes 85 ans (en 2022), il m’a fallu restreindre toutes activités administratives avec ICOD. Je n’avais jamais été responsable dans aucune O.N.G., mais on me demandait souvent d’intervenir en utilisant ma responsabilité morale. Bien que tous mes amis ont refusé, j’ai souligné qu’à mon âge, dans un pays dont 60 % de la population ont moins de trente ans, il est anormal de maintenir quelque responsabilité officielle que ce soit.
Comment se déroulent vos journées ?
Chaque jour de l’année depuis 6 ans,
je me lève pile à 5 h 30 (auparavant, c’était 5 h). Jusqu’à 8 h, mon temps appartient au Seigneur. Ensuite, vers 8h30, je commence la tournée des visites en chaise roulante, saluant chacun et chacune, parlant avec ceux qui le peuvent. Avec les autistes, les sourds-muets, aveugles, I.M.C. et paralysés, ce peut être limité, mais il y a toujours moyen d’échanger avec chacun et chacune en signes, rires, plaisanteries où on peut badiner au maximum, ce qui en fait intéresse tout le monde, même les aliénés, et leur donne la certitude d’être et aimés. Je refais la même tournée en fin de journée pour eux et pour tous nos collaborateurs, spécialement ouvriers de l’entretien qui jouent un rôle majeur dans notre O.N.G. de deux hectares. Seuls les horaires changent en fonction de la température : en été tôt le matin, en hiver en attendant un bon ensoleillement, et à la mousson aux moments où la pluie est limitée. Mais malheur à moi si je n’apparais pas un jour : plusieurs me font la tête, refusent de me saluer… ou essayent de me battre ou me griffer. Ma visite journalière est la seule distraction de leur vie, et ils peuvent l’attendre plusieurs heures si je suis en retard… Tous souffrent beaucoup de leur absence de relations familiales ou de leurs maux physiques et psychologiques. Ma présence leur est une thérapie. Et à moi aussi !
Le reste de la journée,
et surtout de 7 h à 11 h du soir, en dehors des repas où je mange seul et… rapidement, ma principale occupation est de répondre aux nombreux courriels anglais ou français, faire les rapports nécessaires pour aider le Bureau, écrire ma chronique mensuelle (commencée en 2000, donc numéro 271 en ce mois de mars), d’environ 10 pages avec autant de photos pour que mes amis, mais aussi donateurs, connaissent nos activités, nos gens, nos problèmes, essayant en même temps de faire connaître les informations indiennes ou géopolitiques. Même si on est pauvre, on doit en même temps garder son antenne universelle pour savoir comment les autres s’en sortent. Ma vie n’est pas ICOD, mais l’Univers galactique du télescope Webb, fruit de l’Amour infini d’Abba en Christ et des « Magnalia Dei » sur notre planète.
Il me faudrait bien entendu signaler le temps donné aux « urgences diverses »,
entrecoupant si fréquemment mes horaires 7/7 jours et qui prennent 30 % de mon temps et souvent 80 % : aide à notre Bureau administratif, visites de nos anciens pensionnaires, souvent en couple avec leurs enfants. La plupart sont des orphelines mariées depuis 1997 à Bélari (mon ex-O.N.G.) et de plus en plus nos garçons ayant enfin trouvé du travail, s’étant mariés, et nous montrant avec fierté leur progéniture apeurée. Visites innombrables de partout. Et enfin, de jour comme de nuit, nos malades en crise, leurs agonies et leurs morts. En fait, je compte plus de 15 activités spéciales tous azimuts… Ainsi « je me suis fait tout à tous à cause de l’Évangile » car je me dois de « partager la faiblesse des faibles pour gagner les faibles ». Et plus mon âge m’aide dans ma mission, plus je deviendrai faible, ce qui m’encouragera à continuer, comme Jésus, « jusqu’au bout ! »
À part la place importante de la prière
dont je reparlerai, je prends le temps de lire lentement un des rares journaux indiens encore indépendants, de passer au minimum une heure en soirée sur Internet, (mais n’étant pas un internaute, j’ignore complètement les soi-disant médias sociaux…) sauf pour suivre des événements importants mondiaux ou qui ont des répercussions planétaires (environnement et climat, guerres, cataclysmes, révolutions, voyages de François, transmutation de l’Église, événements œcuméniques, etc.) Évidemment, l’Ukraine prend une place importante, bien que ce ne soit qu’une guerre civile localisée, européenne, et entre chrétiens ! Mais ses répercussions mondiales (famines, sanctions, etc.) doivent être bien étudiées hors de la sphère occidentale avec ses « fausses nouvelles ». J’essaye aussi de me réserver au moins une heure pour lire un des nombreux livres qu’on m’envoie, car je n’ai jamais eu aucune possibilité d’acheter des livres moi-même ! Mais c’est presque une règle de ne pas y arriver, malgré ma soif de lecture !
Pour lire l’article en entier, Reflets n°48 pages 72 à 76