Poète et éditeur, Jean Lavoué est l’auteur de recueils de poésie mais aussi d’essais portant notamment sur l’écriture et l’intériorité. Il a consacré plusieurs ouvrages à des auteurs bretons : Jean Sulivan, Félicité de Lamennais, Georges Perros, Xavier Grall… Derniers ouvrages parus, René Guy Cadou, la fraternité au cœur (L’enfance des arbres, 2019), Voix de Bretagne, Le chant des pauvres (L’enfance des arbres, 2021), Des clairières en attente (Médiaspaul, 2021). Parmi ses recueils de poésie, Ce rien qui nous éclaire a ouvert en 2017 la collection de L’enfance des arbres Poésie et intériorité.
Maison d’édition L’enfance des arbres : www.editionslenfancedesarbres.com
Qu’est-ce qu’être poète ?
Être poète, c’est d’abord, je crois, tout simplement être un vivant, une personne qui se laisse saisir, étonner par sa propre présence au monde et par tout ce qui l’entoure. C’est se montrer capable de porter et de laisser grandir en soi les questions essentielles. Pourquoi la vie, pourquoi la mort, pourquoi l’infini, pourquoi la beauté, pourquoi le mal, pourquoi l’amour ? C’est pouvoir s’ouvrir sans retenue à ce mystère de la vie qui de toute part nous dépasse. C’est prendre conscience un tant soit peu de cette réalité prodigieuse dans laquelle nous sommes immergés. Sur laquelle nous ne pouvons pas refermer la main : seulement nous rendre disponibles, accueillants à ce qui survient. C’est retrouver sans cesse sous la routine et l’habitude cet étonnement premier d’exister.
Autant dire que tout humain est poète dans ces éclats d’instant qui le traversent
Autant dire que tout humain est poète dans ces éclats d’instant qui le traversent et où il prend conscience d’une réalité plus vaste que lui-même. Aussi, celui que l’on dit poète n’est-il pas foncièrement différent des autres. Il est aussi menacé qu’eux par l’oubli, la banalité, le refoulement du mystère. Par une approche prosaïque de ce qui nous entoure. Simplement, il va se consacrer davantage à cultiver cette présence à soi-même et au monde et c’est elle qu’il va s’efforcer de traduire en mots, en images, en sensations, en émotions. Contrairement au langage courant, utilitaire, qui exige de la précision, il va plutôt donner du jeu à son expression pour tenter d’évoquer plutôt par allusion, par résonance, ce qui ne saurait se dire avec des concepts ou un vocabulaire trop technique. Tout ce que finalement la vie recèle de proprement insaisissable. D’où ces brisures, ces éclats de nuit qui parsèment son texte. D’où également le sentiment fréquent pour le lecteur d’être perdu, à la fois dépaysé et déplacé vers l’inconnu et, en même temps, de se sentir situé à nouveau au lieu le plus intime de soi. Comme un retour à l’origine.
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La poésie, c’est, en effet, avant tout un art d’habiter, « de s’habiter vraiment »
La poésie, c’est, en effet, avant tout un art d’habiter, « de s’habiter vraiment », comme l’écrivait Georges Perros. Une manière d’exister qui n’en reste pas à la surface des événements. Nous sommes si souvent éloignés de notre demeure et de nous-mêmes, captés par les choses, saisis par des soucis qui obstruent notre conscience, engagés dans les voies de la nécessité et des obligations. Toute la société, en fait, nous éloigne de ce lieu vers lequel pointe la poésie. La vie sociale est le domaine des arrangements et des compromissions avec l’infini que chacun porte en soi tout comme avec l’étrangeté que révèlent en eux les autres. Je ne comprends pas la phrase qui suit, au même quoi ?La société nous asservit au même. Or, le poète, par de secrètes correspondances, nous ramène, lui, insensiblement vers ce lieu-source où notre être s’ouvre à ce qui l’altère, tout en lui faisant éprouver son manque profond que rien ne saurait combler. Cela peut être la beauté d’un paysage, la brûlure d’un amour, la force d’une absence, le mystère d’une transcendance… En poésie, nulle réalité n’est jamais achevée. Il faut s’en remettre, au contraire, toujours à l’inconnu.
L’art poétique est-il en rapport avec votre foi ?
En effet, je parlerais volontiers de ma foi comme je viens de le faire à propos de la poésie. La foi n’est-elle pas d’abord ouverture à ce qu’on ne saurait enfermer ni parfaitement comprendre ? Il s’agit de faire confiance sans voir. Face au tragique de nos vies, il y est question aussi d’espérance. Il ne s’agit pas d’acquérir des certitudes, des croyances résistantes à tout. C’est, au contraire, éprouver un inconnu que l’on sent habité d’une présence même si nous ne savons pas la nommer. À ce titre, l’agnostique est aussi un être de foi. Il s’agit de ne pas se contenter de ce que l’on possède mais d’accueillir ce qui nous manque comme le lieu véritable de notre existence et fonder dans ce lieu notre confiance.
Poème du 13 avril 2021
Franchir une fois encore
L’écluse du silence
Et laisser derrière soi
Tant de mots inutiles
Pour gagner à pas lents
Ces rochers de l’enfance
D’où le monde paraît bleu
Et où les arbres prient.
Il fait un temps de mouettes
Dans les bourgeons d’avril,
De vols pour arpenter
Les allées du soleil :
Tant qu’il y aura des ailes,
Des ciels, des matins purs,
Nous nous tiendrons debout
Dans la force du vent,
Nous marcherons longtemps
Sans heure ni calcul
Pour boire la blancheur
À l’auge du printemps,
Nous mènerons nos bêtes
Vers l’horizon tremblant
Où la fête se donne,
Claire, allégée de tout.