Metteur en scène et chorégraphe, Bartabas innove en 1984, avec le Théâtre équestre Zingaro. En 2003 il crée l’Académie équestre de Versailles dont l’originalité réside dans le fait d’associer le travail de dressage de haute école avec d’autres disciplines telles que l’escrime, la danse, le chant ou le kyudo.
Aujourd’hui cet homme de selle et de scène est également écrivain. Avec D’un cheval l’autre, éd. Gallimard, il livre les coulisses du vécu avec chacun de ses chevaux, son intimité dans un langage commun de corps et d’esprit.
Comment définiriez-vous votre art équestre ?
C’est exprimer à travers la relation avec le cheval des sentiments qui touchent les humains. Parler de la relation de l’homme et du cheval, c’est parler de la relation des humains entre eux, parce que la manière dont on se comporte avec le cheval, ce qu’il nous renvoie, est le reflet de ce que l’on est. Le cheval est comme un miroir. Il vous renvoie ce que vous avez été capable de lui donner. Plus vous lui donnez de l’attention, plus il va vous rendre de l’amour, de la finesse de sentiments.
Votre art relève-t-il de l’art sacré ?
Pas dans le sens religieux du terme, mais dans le sens théâtral. Pour moi, le théâtre est sacré dans ce sens où il s’agit de communier ensemble. Je ne fais pas du théâtre pour raconter des histoires comme le fait le conteur. Au théâtre, tu convoques les gens tous ensemble, assis en cercle : ensemble, nous allons communier par les sentiments. L’acteur, le musicien ou le danseur sont les vecteurs de ce sentiment. Je me rapprocherais de la notion orientale du théâtre. Quand en Inde, on va voir le Mahabharata, ce n’est pas pour se faire raconter une histoire : on la connaît déjà. Ce que j’appelle le côté sacré, c’est ce moment partagé qui est quelque chose de profondément humain.
Il y a un plus dans votre art, c’est que vous entrez dans l’esprit du cheval comme le cheval entre dans votre esprit. Vous parlez de communion. Il y a une communion avec le spectateur, mais aussi avec l’animal. Est-ce dans ce sens-là ?
Bien sûr. En fait, le cheval parle pour moi. Il reflète ce qu’on a été capable de construire avec lui. C’est en ça que je dis qu’il est comme un miroir. Il vous renvoie ce que vous êtes, donc ce que vous avez construit ensemble. Il est notre instrument d’expression, exactement comme un musicien s’exprime à travers son instrument, un violoniste à travers son violon par exemple, sauf que là, il s’agit d’un être vivant. C’est d’autant plus intéressant, car l’être vivant répond avec sa personnalité à ce que vous avez été capable d’exprimer avec lui. Souvent, ce qui se dégage, c’est la confiance. Le sentiment premier qu’on exprime, quel que soit le thème du spectacle, c’est d’abord le reflet d’une confiance réciproque. Le cheval est mon partenaire et j’ai confiance en lui. Puisque tu le guides, il te fait confiance pour se laisser guider. La confiance est forcément bâtie sur l’amour.
Cela vous permet d’explorer des sentiments profonds. Vous parlez parfois de compassion avec l’animal. Dans votre livre, au sujet de Zingaro, vous parlez même de « révélation mystique de la terre primitive ».
A ce moment précis, c’est la première fois que je monte sur ce cheval, à la fois pas rassuré et obligé de m’abandonner complètement. Ce sont des moments de fulgurance incroyables. Tout d’un coup, je ne suis plus un cavalier avec tout mon savoir, tout mon acquis ; je ne suis plus qu’un humain transporté. Tu partages vraiment son animalité, alors qu’un cheval avec lequel tu as travaillé régulièrement et construit ton vocabulaire n’est plus tout à fait un cheval et tu n’es plus tout à fait un humain. Là, tu es un passager sur un animal qui est libre et tu partages sa liberté. Rien à voir avec le ressenti du cavalier que je suis : je ne suis plus vierge dans cette relation-là puisque c’est mon métier.
Vous captez l’instinct des animaux, c’est ça qui est assez fantastique.
La relation est très particulière. Elle n’est pas comparable avec celle qu’on peut avoir avec un chien. Tu crées un langage commun avec le cheval qui passe vraiment par le corps, mais aussi par l’esprit. Cela, je pense, n’existe qu’avec les chevaux. C’est dû au fait que l’animal se laisse monter pour développer un langage équestre avec son cavalier. Le cheval devient vraiment une partie de vous-même, il devient vos jambes…Tu construis un langage avec, tu travailles sur la qualité du geste, c’est autre chose que l’apprentissage d’un mouvement. Faire monter un animal sur un tabouret, c’est très commun : tu es un caniche, tu as un sucre ; tu es un éléphant, tu as une feuille de salade ; tu es un lion, tu as un morceau de viande ; et même tu es un humain, tu reçois un bon salaire. Tu as bien fait ton boulot, tu mérites ta rétribution. Avec un cheval, travailler la qualité du geste, ce n’est pas juste apprendre à faire ce geste, c’est maintenir chez lui cette espèce de flamme pour qu’il ait envie de vous le donner et de l’exprimer avec sentiment. Là, on passe à un autre niveau. C’est ce qui me fascine parce que c’est sans fin et ça peut se développer à l’extrême.
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Pour lire l’interview en entier, REFLETS n° 40 pages 46 à 50