Retour d’expériences sur le Nyungne, yoga du jeûne selon la tradition bouddhiste tibétaine
Présidente du Centre de Méditation Lyon-Bellecour (pleinepresencelyon.com), facilitatrice de pleine présence suivant le protocole « Open Mindfulness Training » développé par Denys Rinpoché (buddha.university), Carine pratique le jeûne depuis 2017 et vient d’achever sa 2e retraite de 25 Nyungne sous la guidance de Wangchen Rinpoché (sercholing.org). Elle est engagée dans la traduction de son livre Buddhist Fasting Practice: The Nyungne Method of Thousand-Armed Chenrezig qui paraîtra en français prochainement.
Bouddha se serait-il éveillé sans jeûner ?
Siddhârta Gautama, lorsqu’il renonça aux plaisirs mondains pour embrasser la quête essentielle du sens de la vie, pratiqua pendant 5 à 6 ans avec plusieurs maîtres védiques le yoga et toutes sortes d’austérités dont le jeûne. Alors que ses forces le quittaient et qu’il s’était évanoui, une jeune fille nommée Sujâta lui offrit du lait qu’il accepta, mettant ainsi fin à son jeûne. Peu après, les liens qui l’enchainaient encore au samsara se délièrent et il s’éveilla pour le bien de tous, réalisant la vraie nature de la réalité, le bonheur authentique, libre des illusions et passions, sources de souffrance.
Depuis, le jeûne fait partie de l’enseignement du Bouddha en parallèle des recommandations à manger en pleine conscience et de préférence végétarien.
Cette pratique peut sembler de prime abord en contradiction avec l’enseignement de la voie médiane, « cheminement équilibré dans lequel le juste usage des sens évite les comportements extrêmes que sont d’une part la luxure et l’attachement aux plaisirs des sens et, d’autre part, l’ascèse mortifère et le rejet des plaisirs sensoriels. »
Et pourtant, aujourd’hui encore, toutes les traditions bouddhistes intègrent des pratiques de jeûne plus ou moins élaborées, souvent associées à la prise de vœux et se pratiquant de préférence les jours de nouvelle ou de pleine lune.
Dans les écoles du bouddhisme tibétain, la pratique du jeûne appelée Nyungne
est célébrée sous la forme d’une pratique de Chenrezi (Bouddha de l’amour et de la compassion) à mille bras, associée à un jeûne hydrique intermittent et à la prise de vœux stricts appelés Sojong. En prenant ces vœux, le pratiquant s’engage à jeûner continûment à l’exception d’un déjeuner végétarien un jour sur deux, à ne pas voler, ne pas mentir, à s’abstenir de toute activité sexuelle, à ne consommer aucun intoxicant (cigarettes, alcool…) et à éviter toute distraction (chant, danse, ornements, parfums…). Cet engagement est réalisé dans un état d’esprit altruiste avec le souhait que les vertus développées puissent bénéficier à tous les êtres. Le Nyungne est en ce sens un yoga c’est à dire une pratique d’union à la réalité sacrée, « sacré se comprenant ici comme « ce qui se vit dans le retrait de l’ego ». Le sacré est l’état de présence quand « je » ne suis plus là ».
Pratiqué traditionnellement par séquence de 2 jours pour une durée allant jusqu’à plusieurs mois, le Nyungne fut initié par Bhikshuni Lakshmi (Tib. Gelongma Palmo), princesse et nonne pleinement ordonnée, qui vécut au X ou XIe siècle. Grâce à cette pratique, elle s’éveilla et guérit de la lèpre qui la faisait terriblement souffrir. Elle transmit sa réalisation à ses disciples et permit ainsi dans une filiation authentique, vivante et ininterrompue jusqu’à nos jours, la diffusion de cette précieuse pratique.
Le Nyungne est une pratique particulièrement puissante pour dissiper la confusion et purifier les voiles qui obscurcissent notre vraie nature.
Le jeûne nous met face à nos émotions les plus fortes : colère, désir, envie, jalousie mais aussi orgueil – plus subtil et pourtant perceptible jusqu’à l’écœurement – indifférence, plus sournoise et pourtant tellement dévastatrice, comme une mise à distance qui gèle le cœur et empêche de s’intéresser à l’autre, de le comprendre.
Des retraites de quelques jours sont proposées dans de nombreux centres du Dharma en France. Il est possible pour les plus motivés d’effectuer une retraite de 25 Nyungne (50 jours) chaque printemps à Ser Chö Ling (sercholing.org) avec Wangchen Rinpoché qui, suivant l’inspiration des maîtres d’antan, vient d’achever en 2022 son engagement personnel de 1000 Nyungne.
Pour lire l’article REFLETS n°45 pages 52 à 55
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