Monsanto en vedette, un mariage, un procès et des pétitions
Marie-Dominique Mutarelli
Deux entreprises à la réputation sulfureuse
Entreprise chimique californienne, Monsanto est connue pour être « la plus détestée du monde ». Après avoir fabriqué l’agent orange, un défoliant toxique utilisé par l’armée américaine dans la guerre du Vietnam, elle a commercialisé dans les années 1970 les PCB ou « pyralènes », hautement polluants, et l’herbicide Lasso, depuis interdit en Europe. Son produit phare est aujourd’hui le Roundup, autre désherbant aux effets cancérigènes potentiels. Pour compléter sa palette de mise en ordre du vivant, Monsanto est également le pionnier des OGM.
Bayer est une entreprise chimique et pharmaceutique allemande, née au XIXe siècle et connue pour ses liens avec le nazisme au siècle suivant. Si elle est à l’origine de l’invention de l’aspirine en 1899, sa dernière création en date est le Gaucho, le pesticide « tueur d’abeilles ».
S’unir pour mieux régner
La chute des cours des matières premières ayant contraint les paysans à réduire leurs achats d’engrais, de semences et de produits phytosanitaires, les industriels de l’agrochimie ont cherché à préserver leurs bénéfices en fusionnant leurs entreprises. En un an, le nombre des consortiums agrochimiques est donc passé de sept à quatre dans le monde. Le 14 septembre 2016 a été annoncé le mariage du siècle entre le géant allemand de la pharmacie et des pesticides et le colosse américain des OGM et des herbicides, pour un montant record de 59 milliards d’euros. Cette association n’annoncerait rien de bon selon les paysans victimes de leurs produits : « Ces gens-là représentent une arme de destruction massive ». D’autres veulent encore croire aux bienfaits de la science, espérant que l’union de Bayer et de Monsanto puisse conduire le développement des biotechnologies vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement et mieux adaptée au changement climatique. « Condamner par avance ce rapprochement relève surtout d’une idéologie selon laquelle la science est l’ennemie d’une nature qu’il ne faudrait surtout pas modifier », estime un céréalier.
Le super géant Bayer-Monsanto va donc à terme contrôler un tiers du marché des semences et un quart du marché des phytosanitaires. Bayer, entreprise allemande, ne va pas manquer d’accroître son lobbying auprès des institutions européennes pour imposer l’introduction des cultures OGM jusqu’ici fortement contestée par de nombreux pays. L’ancienne ministre de l’environnement Corinne Lepage dénonce donc « la naissance d’un ogre qui contrôlera l’ensemble de la chaîne, de la semence à l’assiette, jusqu’aux médicaments pour soigner les maladies que ses produits toxiques causent. Ce modèle ultra-concentré et industrialisé est éthiquement inacceptable et incompatible avec l’agriculture durable dont le monde a besoin. »
Pour sa part, l’entreprise Bayer justifie ce rapprochement comme le seul moyen de répondre à un défi majeur : nourrir 10 milliards d’êtres humains en 2050. « Produire plus avec moins », grâce à une agriculture technologique intelligente et connectée, plus précise et plus durable.
Pour les spécialistes de l’agro-écologie, l’affaire Bayer- Monsanto ne doit pas laisser le public indifférent. Devant les limites de l’agriculture conventionnelle, elle invite chacun à prendre la mesure du choix entre un modèle ultratechnologique et une agriculture à échelle humaine, plus modeste, mais plus respectueuse de la planète. L’avis des citoyens devrait être déterminant. Ainsi, sur le site Atabula, une cinquantaine de chefs cuisiniers réputés ont déjà choisi, en dénonçant à travers une pétition « l’invasion de l’agrochimie dans nos assiettes ».
La défense des citoyens s’organise
Face à Monsanto, la défense des citoyens tente de s’organiser. Un collectif international d’ONG et de juristes a financé du 14 au 16 octobre 2016, à La Haye, aux Pays- Bas, où siège la Cour internationale de justice, l’organisation d’un « Tribunal Monsanto ». Avec pour objectif de déterminer « si Monsanto est responsable de violations des droits humains, de crimes contre l‘humanité et d’écocide ». Les audiences ont été retransmises sur internet via le site monsanto-tribunal.org, en vue de « contribuer à ouvrir les yeux de l’opinion publique sur les impacts de l’industrie agrochimique ».
Partant du constat que seules des actions au civil sont aujourd’hui possibles contre les firmes afin d’obtenir une indemnisation des victimes, le projet du Tribunal visait à fournir des armes juridiques aux individus et communautés qui voudraient poursuivre Monsanto devant de vraies juridictions. Sans statut officiel, le procès a cependant respecté scrupuleusement les procédures juridiques internationales, avec de vrais juges, avocats, greffiers. Trente plaignants venus d’Europe, d’Amérique du Nord et du Sud, d’Asie, d’Océanie ont ainsi pu témoigner : victimes des pesticides, paysans ruinés par les OGM ou expulsés de leurs terres, mais aussi chercheurs dénonçant les pressions de Monsanto.
Chargés d’évaluer les faits reprochés à Monsanto et de sanctionner les éventuels dommages sanitaires et environnementaux causés, au regard du droit international en vigueur, les juges ont aussi examiné l’opportunité de réformer le Statut de Rome créant la Cour pénale internationale afin d’y inclure le crime d’« écocide ». Selon la juriste Valérie Cabanes : « détruire l’environnement global, menacer la sûreté de la planète est une atteinte aux droits fondamentaux de l’homme et devrait être considéré comme un des crimes internationaux les plus graves, à l’image du génocide ou du crime contre l’humanité ». Le jugement, symbolique, doit être mis en délibéré le 10 décembre 2016. Invité à participer à ce tribunal citoyen, Monsanto a qualifié le procès de « parodie » dans une lettre ouverte, plaidant pour l’aide que ses produits apportent aux agriculteurs afin de s’adapter aux changements climatiques et convaincu que toutes les formes d’agriculture peuvent coexister.
Une pétition contre la fusion Bayer-Monsanto
Au lendemain de la tenue de ce tribunal, l’avocate Corinne Lepage, ex-ministre de l’environnement, a également lancé une pétition à l’adresse de Jean- Claude Juncker, demandant d’opposer le véto de l’Union Européenne à la fusion entre Monsanto et Bayer, afin de protéger le marché européen des risques d’abus de position dominante, – d’autant plus graves qu’ils touchent des domaines vitaux pour la population, comme l’alimentation et la santé. Par ailleurs, la disparition de Monsanto en tant qu’entité juridique après son absorption par Bayer lui permettrait d’échapper aux poursuites pour les faits énoncés devant le Tribunal Monsanto.
Un démenti d’envergure aux promesses de Monsanto
En cette année 2016, les promesses d’un avenir meilleur grâce à Monsanto semblent remises en question par les faits.
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Pour lire l’article en entier, Reflets n° 22 pages 16 et 17