Manque de passion
Dr Jean-François Houver
Le Docteur Jean François Houver est médecin généraliste, homéopathe et spécialiste de médecine énergétique chinoise, convaincu de la valeur et de la complémentarité de chacune de ces approches thérapeutiques. Il pratique la Médecine des Actes qui tente de soigner l’homme dans sa globalité, en l’aidant à mettre du sens sur ses maux physiques ou psychologiques. Il exerce dans le Grand-Est.
Après vingt-cinq ans de pratique médicale, la dépression est une « maladie » qui me laisse toujours aussi perplexe, ou plutôt dont le diagnostic me laisse perplexe. En y réfléchissant, je crois avoir vu pendant ce laps de temps cinq ou six « vraies » dépressions, au sens psychiatrique du terme, ces dépressions mélancoliques accompagnées d’une telle souffrance morale, d’une telle angoisse, que le risque suicidaire est maximum. Évidemment, dans ces situations l’hospitalisation s’impose et les traitements chimiques sont indispensables. Mais en dehors de ces cas, le diagnostic de dépression me laisse de plus en plus dubitatif. Peut-on qualifier toute souffrance morale de dépression, et la traiter par des médicaments sans même parler aux patients, sans même tenter de comprendre la raison profonde de leur état ? Ou peut-on restreindre nos états d’âme – et qui n’en a pas ?- à une défaillance des neurotransmetteurs, résumer notre humeur à l’état de nos glandes ? La médecine actuelle n’est-elle pas en train d’être aveuglée par le pouvoir de la chimie et les performances des médicaments modernes, jusqu’à en perdre le sens de la vie humaine ? Et n’est-t-elle pas en train de perdre au passage le pouvoir thérapeutique de la relation, des mots, du sens et de la foi qui peuvent rendre un être « vivant » ?
Quand je vois Georges, un nouveau patient de 68 ans, il sort de chez un psychiatre et le diagnostic de dépression est tombé pour lui comme un couperet. Il me tend son ordonnance, une prescription « habituelle », comme on en voit tellement en ce moment, associant antidépresseur, anxiolytique, somnifère. Le trio classique, dont on a tant de mal à se sevrer par la suite. Or, de ce traitement, il n’en veut pas, et c’est pour cela qu’il a décidé de venir me voir. Malgré le diagnostic du spécialiste, quelque chose en lui n’est pas d’accord : « Je ne sais pas ce que j’ai, mais je sais que la solution n’est pas là, pas dans les médicaments», me dit-il la larme à l’œil.
Moi non plus, au départ, je ne sais pas ce qu’il a et, en le voyant, en l’interrogeant, j’ai bien un premier sentiment d’une dépression avec ses symptômes habituels. Un manque de volonté qui frise l’aboulie, l’envie de rien, plus de plaisir aux choses, des perturbations de l’endormissement avec des angoisses, la voix qui est lasse, le regard éteint. Paradoxalement, lorsque je l’interroge, tout a l’air d’aller bien dans sa vie. Il n’a pas de souci particulier, pas de problèmes de santé, ses enfants et petits enfants vont bien. D’après lui, il n’a aucune raison objective d’aller mal. Et pourtant… A l’entendre, à l’observer, il me fait l’impression d’une âme en peine qui erre sur terre sans but, d’un être qui s’éteint.
« Quand est-ce que vous vous êtes senti vraiment vivant la dernière fois ? » Il n’a pas besoin de réfléchir longtemps pour me répondre, tant cela a l’air d’être évident pour lui, et cela me surprend beaucoup.
« Il y a quelques années, dans l’église à laquelle j’appartenais, j’ai eu l’occasion de faire de l’évangélisation. C’est le pasteur qui m’y avait poussé. J’ai pu témoigner de ma foi, enseigner. Là je me suis senti vraiment vivant ». Alors qu’il parle, son corps confirme ce qu’il dit : sa colonne vertébrale se redresse, son œil se rallume à ce souvenir, qui semble si précieux, si porteur de vie.
« Et pourquoi avez-vous arrêté ? » « Il y a eu des dissensions et des conflits graves au sein de cette église. Le pasteur est parti et j’ai décidé de tout arrêter, la mort dans l’âme. Maintenant que j’y pense, c’est après ça que progressivement j’ai commencé à aller mal.»
(…)
Mais au fond, en y regardant de plus près, même au creux de la vague, quand nous sommes convaincus de ne rien pouvoir faire pour changer quoi que ce soit à notre vie, la balle n’est-elle pas toujours dans notre camp, même si on a parfois besoin qu’un coéquipier nous fasse la passe décisive ?
Pour lire l’article en entier, Reflets n° 21 pages 44 et 45