par Marie-Dominique Mutarelli et Christian Rœsch
Avec les scandales d’abus sexuels révélés ces dernières années, l’Église catholique vit aujourd’hui une crise sans précédent qui la fait vaciller. La prise de conscience est douloureuse, car elle oblige tous les responsables à prendre la mesure du désastre que le silence et l’omerta, qui ont prévalu pendant des décennies, justement pour protéger l’Église des conséquences de ces atteintes, ont contribué encore plus lourdement à détruire son image et à porter atteinte à la foi des fidèles. En 2019, le pape François et son prédécesseur, le pape émérite Benoît XVI, ont pris position sur ces sujets brûlants pour faire avancer la réflexion et introduire dans l’institution les moyens indispensables pour sortir de la crise, en particulier lors d’une rencontre consacrée à la protection des mineurs dans l’Église en février 2019
[1]. Benoît XVI, pape François, Ne faites pas de mal à un seul de ces enfants, la parole des papes contre les abus sexuels, éd. Artège, 2019.
Le pape émérite Benoît XVI, le premier à avoir pris en considération le problème des abus sexuels au sein de l’Église, reconnaît que, jusqu’à présent, dans les cas d’accusation d’abus sexuels sur mineurs, priorité était donnée par l’institution ecclésiastique à la protection juridique de l’accusé. « Dorénavant, dit-il, le droit canonique doit prioriser la protection de la foi, corrompue par l’inconduite des coupables et y répondre par la peine maximale pour un serviteur de Dieu : la réduction à l’état laïc. » Benoît XVI cite l’avertissement de Jésus dans l’Évangile de Marc : « Celui qui est un scandale, une occasion de chute pour un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes et qu’on le jette à la mer [2]. » Mais pour Benoît XVI, le terme « petits » désigne « les croyants ordinaires », et non les victimes de prédateurs pédophiles. Pour le pape émérite, la cause des attaques pédophiles est l’absence de Dieu, qui entraîne une perte du sens et de la notion de bien et de mal. « Réapprendre à reconnaître Dieu comme le fondement de nos vies » serait donc le remède, avec l’aide de la prière, du jeûne, de l’adoration de l’Eucharistie. [2]. Mc 9, 42.
Lors de la rencontre de février 2019, le pape François a resitué cette réalité ecclésiale dans un contexte social global : « Ceux qui commettent les abus […] sont surtout les parents, les proches, les maris d’épouses mineures, les entraîneurs et les éducateurs. » Il a rappelé aussi que d’autres fléaux menacent les enfants : le tourisme sexuel, la pornographie, le travail forcé ou l’enrôlement dans des guerres.
Mais le souverain pontife, soulignant que l’universalité du fléau n’atténue en rien sa monstruosité à l’intérieur de l’Église, affirme que tout abus commis par un de ses membres sera affronté avec une extrême sévérité. Prenant la mesure de la souffrance individuelle des victimes, François sollicite la responsabilité de toute la communauté ecclésiale pour y répondre. Pour cela, il appelle chaque baptisé à s’impliquer dans la transformation ecclésiale et sociale. « Tout ce qui se fait pour éradiquer la culture de l’abus dans nos communautés sans la participation active de tous les membres de l’Église ne réussira pas à créer les dynamiques nécessaires à la transformation. » C’est du retour à la source de l’enseignement christique que pourront surgir de nouvelles voies créatives, avec l’aide de la prière et de la pénitence.
Le souverain pontife associe aux abus sexuels les abus de pouvoir qui permettent de manipuler la conscience et la fragilité psychique et physique de l’être situé en position d’infériorité. Il invite donc « à vaincre l’appétit de domination et de possession ». Dire non aux abus commence par le refus de toute forme de cléricalisme.
Enfin, François dessine des stratégies pour servir de guide à l’itinéraire législatif de l’Église : protéger les enfants contre tous les abus et donner la priorité aux victimes plutôt qu’à la sauvegarde de l’institution ; livrer à la justice quiconque aura commis de tels délits ; améliorer la sélection et la formation des candidats au sacerdoce ; réaffirmer l’application des mesures qui ont valeur de normes : aucun abus ne doit jamais être couvert ni sous-évalué ; accompagner les victimes d’abus, avec tout le soutien nécessaire ; tenir compte des nouvelles formes d’abus sexuels qu’offrent le monde digital, la pornographie ou la détention d’images pédopornographiques ; lutter contre le tourisme sexuel dans le respect radical de la dignité de chaque être humain. Cette réflexion a été formalisée dans la lettre apostolique Vous êtes la lumière du monde qui encadre la protection des mineurs et des personnes vulnérables et précise les procédures à suivre.
Pour lire l’article en entier, RELETS n° 35 pages 11 à 14