Le sommet des consciences pour le climat qui s’est tenu le 21 juillet dernier à Paris en présence des grandes autorités religieuses restaure l’homme en tant qu’être psychique et spirituel dans les réflexions sur la crise environnementale. Il est temps, car cette dimension manque bien souvent dans les discussions qui entourent le sujet. Il semble pourtant surprenant de faire abstraction de la personne dans son rapport avec son environnement intérieur pour saisir l’essence des relations qu’elle entretient avec son environnement extérieur.
Dans sa dernière lettre encyclique, Laudato Si, le pape François souligne d’ailleurs le rôle primordial joué par l’homme dans la dévastation de la planète. Il évoque en particulier dès la première page en quoi la violence dans le coeur des hommes se traduit dans les violences qu’ils infligent aux biens communs qui constituent notre habitat.
Dans une société qui a perdu le sens du sacré, est-il si étonnant que la nature précieuse et vitale des équilibres et des ressources qui nous entourent soit reléguée sans autre intérêt que d’en exploiter les potentiels commerciaux et financiers ? Comment peut-on expliquer un tel traitement à la terre si ce n’est en commençant par s’interroger sur le traitement que se réserve l’homme à lui-même ? Aurait-il idée de salir la planète s’il n’amorçait pas ce mouvement de l’intérieur ? C’est à cette réflexion que le sommet des consciences pour le climat en écho au pape François nous invite, pour retourner la caméra et découvrir au coeur de l’esprit humain l’origine des salissures de la terre.
Trois pistes de réflexion
Si nous devions avancer trois pistes de réflexion sur la source intérieure de cette souillure, il nous faudrait certainement interroger en premier lieu les abus d’un esprit humain analytique qui fragmente, compare, juge et surtout sépare ce qui devrait parfois être uni et rejoint en commençant par séparer la personne d’elle-même et des autres. En second lieu, il serait utile de mentionner que cette incessante séparation est une façon de rester sourd à une condition inhérente à la nature humaine, la souffrance.
Or toutes les grandes traditions le rappellent : la condition humaine est souffrance. Le mythe du péché originel évoqué par le pape François dans sa lettre symbolise par exemple cette séparation profonde de l’homme avec son essence sacrée. La colère subséquente qu’il nourrit contre lui-même, ce jugement incessant sur ses actes et sur ceux des autres, ne constitueraient-ils pas la pollution psychique première qui finirait par se retourner vers l’extérieur et s’incarner en salissure planétaire ? En troisième lieu, il conviendrait de souligner que cette souillure prend aussi ses racines dans le puissant sentiment d’existence que nous, Occidentaux, entretenons en accumulant des biens et des richesses. Sentiment sain dans une certaine mesure, mais si pathologique dès lors que chaque point de richesse acquis pour des biens parfois inutiles en détruit cent ailleurs.
Conversion écologique
La conversion écologique à laquelle nous invite le pape François est avant tout une transformation de la pensée. À la pollution de l’esprit, il faut substituer une écologie de l’esprit, chère à l’anthropologue Gregory Bateson, qui consiste à ne plus succomber à la violence intérieure infligée à nous-même et aux autres. Le développement durable tant affiché commence ainsi par un homme durable, propre et attentif vis-à-vis de lui-même, de ses propres ressources et donc de celles d’autrui et de la terre. Cette écologie de l’esprit sèmerait sans doute des conditions favorables à des prises en charge économique, politique et sociale plus profondes et plus pérennes.
Qui d’autre que des sages, des philosophes ou des autorités spirituelles, spécialistes de l’intériorité humaine, pourrait apporter cet éclairage ? C’est pourquoi cette transformation passera sans aucun doute par une prise en compte plus systématique, dans les discussions sur l’avenir de la planète, des grands courants religieux et spirituels qui manquent souvent cruellement à l’appel pour contribuer à des avancées solides vers une écologie intégrale appelée là encore de ses voeux par le pape François, qui reconnaît la possibilité d’un meilleur de l’homme au service d’un meilleur pour la planète.
Christophe Roux-Dufort
Faculté des sciences de l’administration à l’Université Laval
29 juillet dans LE DEVOIR, journal quotidien du Canada français,