LE POUVOIR DES CONSOMMATEURS
Interview d’Edgar MORIN
Philosophe, sociologue, ancien résistant, humaniste engagé, initiateur de la pensée complexe, Edgar Morin est un des grands visionnaires de notre époque. Nous l’avons interviewé lors du colloque international « Humanisme & Mindfulness : une éducation pour le XXIe siècle » qui s’est déroulé à Karma Ling, sur l’écosite du domaine d’Avalon en Savoie, au mois de septembre.
Est-ce que l’écologie, sans l’apport de la spiritualité, peut changer le monde ?
L’écologie ne peut changer le monde que s’il y a une conscience, d’abord, de tous les problèmes humains, sociaux, personnels provoqués actuellement par les processus de destruction de la biosphère, de dégradation de la nature, etc.
Premièrement, il faut prendre conscience – et c’est quelque chose qui relève de l’esprit – que c’est le processus de notre civilisation qui a été destructeur pour la nature. Il faut prendre conscience aussi que ce processus nous aveugle nous-mêmes puisque notre civilisation nous a masqué cette relation indissoluble qu’il y a entre l’homme et le monde naturel.
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Plus nous progressons dans la production du développement matériel,
plus nous progressons vers un sous-développement spirituel
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L’agroécologie redonne de la dignité au travail humain
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Il y a une réforme de société qui est en même temps une réforme intérieure personnelle. Et la réforme intérieure, c’est effectivement développer la vie de l’esprit. Il y a une équivoque dans le mot spiritualité : les gens pensent qu’il s’agit de religion. La spiritualité, c’est cultiver la réflexion sur soi-même, chercher, aller vers la sérénité par la pleine conscience, trouver en quelque sorte une relation meilleure avec soi-même et avec autrui.
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Comment passer de la consommation prônant « l’avoir » à la préservation de la terre privilégiant « l’être » ?
Tout d’abord, l’agriculture industrialisée est une agriculture qui tue les sols, qui tue la vie. Pas un oiseau ne chante dans les monocultures étendues à l’infini ; pas un moineau, parce qu’il n’y a pas un ver de terre. Il n’y a rien. Les engrais artificiels, les insecticides, tout ceci contamine les aliments. Nous avons finalement une nourriture insipide, éventuellement dangereuse. Par contre, l’agroécologie retrouve les traditions de l’agriculture fermière et bénéficie en même temps des connaissances scientifiques d’aujourd’hui ; c’est elle qui redonne vie aux terres, redonne vie au travail, retrouve des animaux plutôt que des machines, redonne de la dignité au travail humain parce que, par exemple pour les vignes, évidemment il faut cueillir les grappes à la main plutôt qu’avec des machines à vendanger. Ce qui est vrai pour l’agriculture est encore plus vrai pour l’élevage…
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Nous devons aller vers une consommation saine
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Quelle action concrète chacun peut-il mener pour préserver la terre ?
Chacun peut d’abord faire ce qu’il peut dans l’utilisation de ses déchets, de ses ordures, dans le choix de sa consommation en se nourrissant de produits fermiers et de produits bio plutôt que ceux du supermarché. Chacun peut faire quelque chose, mais il est évident qu’il s’agit de la synergie de tous. Si les consommateurs s’unissaient, ils auraient un pouvoir immense.
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Il suffirait qu’ils soient éclairés, qu’ils sachent boycotter les produits infâmes ou néfastes et qu’ils puissent choisir les produits de qualité, pour transformer le marché.
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Pour lire la totalité de l’article…REFLETS 18 pages 26 à 29