Le dalaï-lama, citoyen du monde
Rencontre avec le dalaï-lama
Christian Roesch
Le dalaï-lama était de passage en France en septembre durant une semaine. Pour ne pas froisser Pékin, il n’a pas été reçu officiellement.Venu pour enseigner, il rencontra la société civile et les médias à Paris. REFLETS était présent pour ce moment privilégié.
Une sacrée bonne humeur
Ce sont ses yeux malicieux qui nous frappent en premier lieu.
Il est telle l’image que lui donnent ceux qui l’approchent. Il transpire la bonté. Ses propos sont continuellement émaillés de traits d’humour. Il répond aux sujets les plus graves avec la profondeur qui s’impose mais sans jamais dramatiser. Qu’il s’agisse du pillage et de la destruction du Tibet, des problèmes des réfugiés en Europe ou de la crise climatique, il garde une vue sereine et élevée. Il met l’accent sur la nécessité du progrès individuel des consciences pour sauver notre planète commune à tous, c’est-à-dire les humains, quelle que soit leur culture mais également les animaux et les végétaux.
Qui n’a pas entendu le rire du dalaï-lama ne connait pas la gaieté de Sa Sainteté !
Il est telle une cascade d’un torrent de montagne tibétaine, caractéristique d’un homme ne se laissant pas abattre par les pires nouvelles du monde mais respirant la joie de vivre, heureux de son sort quoi qu’il advienne sans être dupe pour autant des pièges tendus. Ce rire évoque celui de Bouddha annonçant une prédiction ; le rire de Bouddha ou de ses disciples : chose légère et bien grave à la fois.
Rester jeune par la pratique spirituelle
Son âge ‒ 81 ans ‒ n’a pas de prise sur sa joie de vivre et une telle lucidité à cet âge devrait nous interroger : la vie spirituelle en plus de la vie active n’entretiendrait-elle pas les neurones ?
Il le dira d’ailleurs lui-même à propos de la méditation : « Certains de mes vieux amis que je n’ai pas vus depuis longtemps me demandent comment il est possible que j’aie l’air si jeune et quel est mon secret. Je pense que c’est la méditation sur l’altruisme qui m’a beaucoup élevé, principalement quand il s’agit de mes ennemis car il est extrêmement salutaire de penser à ceux qui nous posent des problèmes. Finalement, on s’aperçoit qu’aucun d’entre eux ne souhaite souffrir mais que tous cherchent une forme de bonheur. Rien n’existe en soi et par soi et tout n’existe que par l’interdépendance. »
5 heures de méditation tous les matins
Avec un trait d’humour, il ajoute : « En ce qui concerne la méditation, il y a bien sûr des clichés : si on pense que cela consiste à fermer les yeux et à ne penser à rien, alors des pigeons, en ce moment même, sont là sans savoir ce qu’ils font… Ce n’est pas très utile. En revanche, utiliser pleinement son intelligence dans des méditations analytiques, essayer de comprendre le pourquoi des choses, le fonctionnement de notre esprit, de nos émotions, la nature de la réalité, cela est beaucoup plus utile. C’est une aide considérable pour essayer de transformer les choses et la vision que nous en avons : par exemple, apercevoir la qualité humaine qui mérite d’être cultivée et ainsi changer, par l’analyse, sa vision du monde.
En tant que pratiquant, je dors neuf heures par nuit : comme les enfants, les personnes âgées dorment beaucoup… Je me lève quand même à trois heures du matin ‒ parfois même à deux heures ‒ et je consacre cinq heures à la pratique de la méditation, analytique au début. J’essaie d’abord d’analyser moi-même : qu’est-ce que le moi ? Qu’est-ce que le soi ? Est-ce que le dalaï-lama existe ou pas ? Je m’aperçois à chaque fois que je concède un moi identitaire, l’idée de mon corps m’échappe : je n’arrive pas à cerner ce concept comme identité, certainement le dalaï-lama non plus. Cela se rapproche certainement de la vision de la physique quantique où les choses paraissent solides mais plus on les analyse, plus cette réalité solide nous échappe. Le fait de réduire considérablement le sentiment du moi, le sentiment de colère, le sentiment d’attachement et de percevoir au contraire l’interdépendance des choses, est quelque chose d’extrêmement utile justement pour remédier à une vision du monde tronquée et aux émotions négatives. Le fait de ne pas penser qu’il y a un moi indépendant est quelque chose de vraiment important. C’est à cela que je consacre mes cinq heures de méditation. »
Quelle capacité d’attention de la part de Matthieu Ricard, son interprète, qui traduit tout ce que dit le dalaï-lama alors que celui-ci ne s’interrompt qu’à la fin de sa réponse !
Même sur les questions difficiles, le dalaï-lama reste posé et répond avec une extrême attention, toujours de manière élevée et sans quitter le concret :
Attention au mot « terroriste » !
«… certes le dialogue est la seule manière d’arriver à une solution. Je voudrais souligner aussi que les expressions utilisées telles que “terroriste islamiste”, “terroriste bouddhiste” ne devraient pas l’être. Il y a des terroristes et il y a ceux qui appartiennent à l’islam, d’autres au bouddhisme mais il n’y a pas de lien intrinsèque entre les deux. Je connais très bien la majorité des musulmans dans mes différentes communautés au Tibet et en Inde. Ce sont des êtres extrêmement pacifiques et accueillants. Associer leur religion à des actes terroristes n’est pas admissible et n’aidera pas à résoudre le problème. Ne faites pas cet amalgame dans la presse et dans les médias mais essayez de comprendre que la majorité de ces populations n’ont rien à voir avec les terroristes. Il existera toujours des personnes qui créeront des troubles au sein de toutes les religions. »
Sa façon de voir les religions est bouleversante :
« Les religions comportent trois facettes à traiter séparément : Tout d’abord, toutes les grandes religions essaient, à l’origine, de propager un message d’amour fondamental.
Deuxièmement, il y a des points de vue philosophiques différents, tout particulièrement entre les religions théistes qui envisagent l’existence d’un créateur et d’autres comme le bouddhisme, sans ce concept. Ces divergences répondent à des prédispositions différentes chez les peuples, sur les plans intellectuel et culturel. Chacun doit trouver la voie qui lui permettra de progresser vers un but commun, celui de privilégier l’amour et la compassion. Dans les religions théistes par exemple, on ne dit pas que Dieu est toute haine mais qu’il est tout amour. Si on a vraiment foi en ce dieu, on devrait naturellement aimer pour être en harmonie avec lui et s’enthousiasmer à l’idée que, créé par lui, nous portons la graine qui le permet. (…)
Enfin, le dernier aspect est culturel, lié aux systèmes sociaux existant à l’apparition de ces grandes religions. Il s’agissait principalement de structures non démocratiques, féodales, ayant créé des institutions religieuses de même nature. (…) »
Le dalaï-lama se présente en citoyen du monde :
(…)
Pour lire l’article en entier, Reflets n° 22 pages 50 à23
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