Marie de Hennezel, psychologue et psychothérapeute, est connue pour son engagement à l’amélioration des conditions de la fin de vie Elle a travaillé pendant dix ans dans la première unité de soins palliatifs de France, créée en 1987 à l’Hôpital international de la Cité Universitaire de Paris. Depuis une dizaine d’années, elle contribue au changement de l’image du vieillir et du grand âge dans notre société.
Dans un de vos livres récents, vous constatez un lien avec l’invisible chez les enfants jusqu’à 7/8 ans et à l’autre extrémité de l’existence,
le vieillard semble retrouver cette faculté. De quoi s’agit-il ?
C’est un constat. Je n’ai pas vraiment de théorie parce que je pense qu’on n’en sait pas assez. En vieillissant, on voyage vers son intériorité. Si on continue à investir l’homme extérieur, on va vers un vieillissement malheureux parce qu’on ne peut pas trouver dans l’extérieur l’épanouissement. Aller vers soi-même, ce n’est pas se replier sur soi, c’est aller dans les profondeurs. Et dans les profondeurs, on touche à quelque chose qui échappe à la pure rationalité.
Les personnes âgées ont des perceptions beaucoup plus aiguës, beaucoup plus fines que bien des jeunes. J’ai eu des témoignages de personnes qui me disent à quel point elles apprécient la nature différemment que quand elles étaient plus jeunes, qu’elles voient des choses qu’elles ne voyaient pas plus jeunes. Il y a une sensualité, une sensorialité et l’intuition qui se développent en vieillissant. Je n’ai pas d’explication autre que le fait qu’avec l’âge, on désinvestit l’extérieur et on investit l’intérieur.
Je l’observe chez quasiment tout le monde. Il y a des personnes qui essaient de s’accrocher désespérément à l’homme extérieur et qui, très vite, se rendent compte que c’est une voie sans issue. Quand on devient plus vulnérable et très fragile, l’espace se rétrécit, c’est là, que, peut-être par compensation tout simplement, les facultés psychiques de sentir ce qui se passe autour, d’être plus disponible aux autres, font que l’on voit avec le cœur, là où peut-être avant on raisonnait, dans le sens de la raison. On essayait de comprendre, d’expliquer et là on saisit les choses immédiatement avec le cœur.
Pourrait-on dire que la vieillesse est une préparation à la rencontre avec l’invisible ?
Cela voudrait dire que les jeunes n’ont pas de rapport avec l’invisible, ce qui est faux. Il y a des tas de jeunes qui ont lien avec l’invisible. La vieillesse le favorise, mais il y a des jeunes qui ont cette perception, cette sensibilité, cette hyper sensibilité.
La vieillesse, c’est plutôt une préparation à la mort. C’est quitter le monde du visible pour entrer dans un monde que l’on ne voit pas.
Quel est le véritable enjeu de la vieillesse ?
Si on a la chance de vieillir, parce que tout le monde n’a pas cette chance, je pense toujours à Christiane Singer qui me disait, avant de mourir (elle est morte à 64 ans) « comme j’aurais aimé vieillir pour bercer le monde ! ». Ce n’est pas donné pour rien l’âge, c’est pour nous permettre d’explorer encore plus le sens de notre existence, pour s’approfondir, pour aller au bout de soi-même, pour s’accomplir. Il y a des gens qui font ce chemin-là.
En six mois, Christiane a fait le chemin que d’autres feront en trente ans. Quand on est gravement malade et que l’on a peu de temps devant soi, on voit des gens qui font un processus d’individuation, c’est comme ça que Jung appelle cette tâche qui donne du sens à la vieillesse : s’individuer. Aller au bout de soi-même, aller au bout de ses malheurs, terminer la tâche que l’on a sur terre parce que l’on a chacun une tâche, un mandat céleste qui est personnel. Le temps qui nous est donné de vivre est là pour nous permettre d’accomplir ce mandat.
Comment bien accompagner un vieillard ?
Le meilleur accompagnement, c’est de les écouter parce que j’ai remarqué que les personnes très âgées se sentent extrêmement seules. Personne ne s’intéresse à ce qu’elles vivent de spécifique. Je fais partie d’un mouvement citoyen, le Comité national autoproclamé de la vieillesse. Nous voulons justement montrer que les vieux veulent que l’on s’intéresse à eux parce qu’ils ont une expérience particulière et qu’ils n’ont pas cette image déficitaire, incapacitaire que nous avons de la vieillesse.
J’aime beaucoup la définition du professeur Jacquard qui disait que « vieillir c’est vivre les mêmes choses autrement ». Bien sûr, je saute moins haut, je cours moins vite et tant que je peux fabriquer des émotions nouvelles en moi, m’enrichir au contact des autres, enrichir les autres, je suis vieux au sens africain, quelqu’un vers qui on vient comme vers une source. Il faut accepter le vieillissement du corps. Mais tout n’est pas destiné à vieillir.
Tant que je peux fabriquer des émotions nouvelles, cela veut dire que notre être émotionnel, notre être sensible vit des émotions nouvelles. Tout n’est pas derrière soi, on découvre. C’est quelque chose que j’entends souvent chez les personnes âgées, nous découvrons des choses nouvelles : un autre regard sur les autres, même sur nous-mêmes, sur la vie. Contrairement à tout ce que les gens croient, la vieillesse est pleine de nouveautés. Ça met l’accent sur l’importance du lien et la personne âgée a quelque chose à donner aux autres de sa présence, de son être.
Elle n’est plus utile au niveau du faire. Aider un vieillard, c’est d’abord l’écouter, parce que souvent, il nous parle de son expérience. En l’écoutant, on lui permet de retrouver son estime de soi et, pour cela, il faut que l’on s’intéresse à ce qu’il vit. S’asseoir à ses côtés et lui dire : « Parle-moi, raconte-moi comment tu vois les choses à ton âge ».
Tout ce que je vous dis, je ne l’ai pas inventé. J’ai entendu les personnes âgées à côté desquelles je me suis assise dans le groupe de parole que j’ai créé, dans des résidences de personnes âgées autonomes, qui s’appelle L’aventure de vieillir. Le mot aventure montre bien que c’est intéressant.
Dans les structures actuelles de maison de retraite, est-ce possible de bien accompagner un vieillard ? Vous dites souvent qu’il y a un déni de la mort. Le côté hygiéniste prime. La vie spirituelle n’est pas bien vue.
C’est ce que l’on a constaté pendant le confinement. On a privilégié la vie biologique au détriment de ce qu’est vraiment la vie, c’est-à-dire une vie relationnelle, une vie spirituelle, une vie affective. Tous ces aspects ont été complètement occultés. En ce qui concerne les maisons de retraite, certaines sont très bien, celles dans lesquelles on a compris ce dont les personnes âgées ont réellement besoin, c’est-à-dire pas seulement de nourriture et d’un hébergement, mais qu’on s’intéresse à elles, qu’on les respecte dans leurs choix, dans leurs priorités. C’est tout ce que l’on n’a pas fait dans le premier confinement parce que c’était imposé par l’État. Beaucoup de maisons de retraite dans lesquelles il y a une certaine humanité ont beaucoup souffert car elles étaient en contradiction avec leurs valeurs.
Et puis, vous avez des maisons de retraite dans lesquelles il n’y a pas beaucoup d’éthique, on ne réfléchit pas. On héberge les personnes âgées. Les maisons de retraite font beaucoup d’argent sur le dos des personnes âgées. On ne peut pas toutes les mettre dans le même sac. Il ne faut surtout pas généraliser.
Dans mon livre L’Adieu interdit, j’avais bien fait la différence entre les endroits dans lesquels la peur dominait sur l’humain et on a été dans l’inhumanité totale et les endroits dans lesquels l’humain a eu raison de la peur. C’est au niveau de la direction que cela se passe. Si un directeur a peur, comme il a une responsabilité civile et pénale s’il arrive quelque chose, il va prendre des mesures qui vont même au-delà des mesures édictées par les agences régionales de santé. Et puis, vous avez des directeurs et des directrices qui ont une éthique et qui ont mis l’humain d’abord. Et là, ils ont pris des risques.
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Pour lire l’article REFLETS N°43 pages 34 à 37