Professeur de biologie moléculaire à l’université de Caen, Gilles-Éric Séralini est le spécialiste mondial des pesticides. Expert pour plusieurs gouvernements, il a démontré les effets néfastes sur les humains du Roundup et des O.G.M. fabriqués pour l’absorber. Évidemment cela ne pouvait qu’attirer les foudres de Monsanto, fabricant de ce produit, qui ne cesse depuis par tous les moyens de le discréditer, ses travaux et lui-même, par tous les moyens…
Les médias français ont peu relaté le résultat spectaculaire des procès intentés aux États-Unis contre Monsanto. Nous avons rencontré le Pr Séralini à ce sujet.
Que s’est-il passé aux USA ?
Des personnes susceptibles d’être atteintes de cancer ou autres maladies graves à cause du Roundup se sont regroupées en « class actions » autour d’un grand cabinet d’avocats associé au cabinet Kennedy Junior, neveu du président assassiné. Ayant publié 64 articles sur le sujet, ils m’ont contacté en tant que spécialiste pour essayer de prouver que leurs clients avaient eu un cancer à cause du Roundup. Je leur ai conseillé de chercher dans les archives de Monsanto. En 2005, j’avais réussi à avoir, par l’intermédiaire de la justice, les données brutes de Monsanto concernant les O.G.M. qui contenaient du Roundup, ce qui avait permis de les attaquer en justice. Sept procès ont été intentés et tous ont été gagnés. Ainsi les avocats américains ont obtenu l’accès aux documents confidentiels de Monsanto dits « les Monsanto Papers », ce qui est une première dans l’histoire des entreprises modernes.
Deux millions et demi de pages !, mises à disposition des avocats et des juges mais pas du public. Pour les déclassifier complètement – ce qu’il fallait obtenir- il fallait un autre jugement c’est-à-dire que l’on prouve que c’était lié aux problèmes du cancer ou de santé, ou à un problème qui allait servir dans le jugement pour lequel ils étaient attaqués. À ce moment-là, ces documents devaient être mis à la disposition de tous, en particulier des plaignants (il y en a eu progressivement 100 000 alors qu’au début il y en avait 10 000) et de leurs avocats.
Le cabinet Baum Hedlund a voulu que je sois leur conseiller pour aider à lire ces documents qui souvent étaient techniques. Les firmes d’avocats font l’avance financière et elles se remboursent une fois le jugement rendu. Un certain nombre a été déclassifié, 500 000 pages environ et j’y suis cité 56 000 fois. Il y a eu un combat de leur part pour y faire des recherches. 100 000 documents ont ainsi été déclassifiés et les personnes citées ont signé un accord pour avoir un dédommagement et se taire. Moi, je n’ai jamais signé un tel accord, donc, je peux en parler. Ce fut le sujet de ce livre qu’il a fallu résumer et que Jérôme Douzelet m’a aidé à décortiquer parce que ça me faisait vomir physiquement. Je savais ce qu’ils avaient fait contre moi. Mon travail avait été d’observer les effets de la pollution sur la santé, sur les gènes des enfants et j’avais trouvé des produits de Monsanto.
En 2012, j’ai écrit un grand article sur le Roundup et sur les O.G.M.. Il se trouve que Monsanto a les brevets sur le Roundup, principal pesticide du monde, et sur les O.G.M.. Le corpus de Monsanto, et ce qui s’était passé dans la réalité scientifique avec moi, m’ont montré, ainsi qu’à d’autres scientifiques, comment ils organisaient le détournement de la science, des agences sanitaires, comment ils organisaient l’ostracisme pour les scientifiques qui trouvaient quelque chose qui leur déplaisait et qui les mettait en cause, et comment aussi ils compromettaient les gouvernements.
Par exemple aller discuter avec le Président des États-Unis sur un terrain de golf pour se plaindre, pour lui demander conseil sur ce qu’il fallait faire ( ce qui leur permettait d’avoir un soutien) , pour me critiquer et m’attaquer ( m’appelant de tous les noms d’oiseaux) et organiser ce que la communauté scientifique doit penser. Ensuite, ils introduisent des scientifiques qu’ils ont subventionnés pour suggérer toutes sortes de critiques que l’on peut faire contre mon travail et affirmer que cet avis vient de la communauté scientifique et que ces derniers le disent dans leurs propres réseaux dans différents pays du monde.
C’est remarquablement organisé !
C’est une infiltration de la science qui ne date pas d’hier. Mais je ne pensais pas que c’était en toute connaissance de cause de cancérogénicité et surtout de la toxicité profonde des produits parce que le cancer n’est qu’un des aspects. Il y a des perturbations endocriniennes, immunitaires, nerveuses, toutes les maladies chroniques en fait. Ce que l’on a découvert depuis c’est que ce sont des spams de la vie, c’est-à-dire qu’ils empêchent la vie de fonctionner… soit de manière électrique avec le système nerveux, soit de manière hormonale. Ils osent faire croire que ce sont de bons produits et surtout que toutes les évaluations ont été faites, si bien que tout le monde conclut qu’il n’y a aucun risque. Alors que la chef de toxicologie de Monsanto, une certaine Dona Farmer signale que c’est dangereux pour les enfants. Elle a dit : « Tant pis, on y va quand même ».
Ils savaient qu’ils avaient des produits extrêmement toxiques. Si je résume, entre les connaissances que j’avais de la manière dont le système luttait contre moi et la découverte avec ces 56 000 citations de mon nom dans les « Monsanto Papers », j’ai compris qu’au fond, ils organisaient tout cela. Les avocats ont prouvé leur mauvaise foi à l’unanimité du jury. Ils ont donc été condamnés à 3 milliards (2 milliards puis finalement 10 milliards de dollars après avoir fait appel). Là, ils se sont arrêtés. Bayer les a rachetés.
En fait, il y a eu trois jugements qui concernaient à chaque fois quelques couples, quelques personnes. Et puis ensuite, ils ont signé un accord avec les 100 000 plaignants pour arrêter les poursuites. Il y a encore 30 000 personnes qui n’ont pas voulu signer, donc il y a encore des poursuites. Il y a 100 000 personnes qui se sont partagées 10 milliards, moyennant quoi elles ne peuvent plus les poursuivre.
Et 10 milliards, cela ne représente rien pour Monsanto ?
Et c’est une histoire assez amusante, avec nos impôts, grâce à Emmanuel Macron et Angela Merkel.
Pendant la Covid, Bayer qui a racheté Monsanto a eu 10 milliards d’aides du gouvernement, comme les grandes entreprises ont eu des aides pendant le confinement. Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs. Il y a beaucoup de gens qui se demandent pourquoi Bayer a eu l’imbécilité de racheter Monsanto ? En fait, ça ne leur a rien coûté.
Il faut savoir que, depuis la Seconde Guerre mondiale, Bayer (qui était une entreprise nazie) était associé avec Monsanto dans un groupe qui s’appelait Mobay (Monsanto Bayer). Le prêt qui a été consenti à Bayer pour acheter Monsanto a été adossé aux grandes banques européennes avec les garanties des états français et allemand et peut-être d’autres. Ce qui fait que Bayer a eu des prêts à taux quasi zéro grâce aux deux présidents de ces pays.
Au plus haut niveau, on leur permet d’avoir des prêts avec des taux très faibles et des garanties d’État, ce qui n’est pas rien pour continuer à faire tourner le système des multinationales qui dirigent le monde. Tant pis si les plus pauvres ou si la plupart des gens meurent. D’ailleurs, ils ont leur cantine bio. En fait, ce sont des gens qui se fichent de la misère du monde, du climat. Il faut 10 calories pétrole pour faire une calorie consommable avec ce système. Le soja transgénique modifié pour absorber le Roundup que l’on va donner aux vaches, aux cochons, contient beaucoup de Roundup. Donc, on connaît les risques mais ça ne peut pas être démontré de manière simple, épidémiologique, parce que tout se mélange dans les polluants et tous les produits qui sont dans l’alimentation classique. Ils ont un raisonnement construit : non, ce n’est pas moi, c’est l’autre ; on n’a pas la preuve. Et en Europe, un procès ne peut pas avoir lieu au niveau de ce qui s’est passé aux États-Unis avec 100 000 personnes parce qu’il n’y a pas de « class actions ». On ne peut pas réunir tous les patients qui se plaignent sur une seule affaire. Et en plus il faut qu’ils paient chacun leur avocat parce que les avocats n’ont pas le droit d’être payés a pourcentage de ce que les gens ont gagné. Les cabinets d’avocats ne peuvent pas faire de publicité à la télévision disant « on cherche des gens atteints ». Donc, ceux qui veulent aller se plaindre doivent payer.
À l’époque de ces procès, j’étais en contact avec Nicolas Hulot qui était au gouvernement et je lui ai dit qu’il y avait de l’arsenic et du pétrole dans le Roundup. Il m’a dit qu’il cherchait des points de faiblesse sur le renouvellement de l’autorisation du glyphosate et que cette information était importante pour lui. Il l’a dit à Emmanuel Macron. En fait, on lui faisait croire qu’ils cherchaient les points de faiblesse sur le glyphosate alors qu’on aidait Bayer à racheter Monsanto. Après, il était hors de question d’interdire le glyphosate pour risque de santé. On n’allait pas dire qu’il y avait des risques de santé car cela aurait gêné le développement de cette multinationale. Emmanuel Macron, qui est un pur produit des grandes banques, voulait renforcer la politique économique de l’Europe en renforçant les multinationales qui rachetaient des entreprises américaines.
Comme Bayer avait tout racheté, Bayer a continué à faire du Roundup sans glyphosate en France avec des poisons extrêmement cancérogènes tel le benzopyrène qui est un résidu de pétrole. Personne ne conteste qu’il soit cancérogène. Nous avons été les seuls à le mesurer dans du Roundup, y compris dans celui où il n’y a plus de glyphosate. On l’a analysé et on a trouvé ces résidus de pétrole qui en fait augmentent l’efficacité et la toxicité du produit. Bayer fait semblant de l’ignorer. Le GIEC a conclu que 30 % des dérèglements climatiques étaient liés à l’agriculture intensive.
Bayer continue de la même manière ?
Bayer m’a mis sur une « black list » des gens qu’il fallait tuer, au moins médiatiquement. Monsanto n’a jamais autant fait la fête que quand je fus dans le coma à Londres, en le faisant bien savoir. On voit qu’ils ont mobilisé au moins 100 personnes. Dans cette « black list », il y a aussi Ségolène Royal, Nicolas Hulot, des journalistes, des hommes politiques contre qui il faut lutter. Il faut sortir n’importe quelle affaire pour les discréditer. Cela a fait capoter Ségolène Royal au Parti socialiste et Nicolas Hulot. On ne sait pas à quel point c’est organisé car cela ne vient pas des plaignants qui sont utilisés. On fait bien plus dans leur dos que ce qu’ils acceptent de faire. Ils ne sont pas tous au courant de ce que l’on va faire de leur cas. Ils construisent tout, y compris auprès des O.N.G.. Il y a des gens qui infiltrent les O.N.G. pour reconnaître que le glyphosate, c’est très mal mais qu’il ne faut pas faire parler Séralini car il raconte n’importe quoi : il a été mis en cause pour fraude. Une fois qu’ils ont monté cette histoire, ils ont gagné. Trois journalistes de radio et télévision ont largement contribué à répandre cela après que je suis passé dans Envoyé Spécial. C’était inconcevable de reparler des rats de Séralini, du Roundup, donc il fallait répandre la suspicion.
Ils vont voir toutes les fondations qui ont soutenu mes travaux pour jeter le doute de façon à ce que je ne sois plus prioritaire dans les nouvelles subventions. Et c’est ce qui m’est arrivé. Heureusement, il y en a encore quelques-unes qui me soutiennent et qui ont compris. Du coup, la condition est qu’on ne parle plus d’elles. Je ne peux pas les remercier et elles ne me demandent pas de les remercier, sinon elles ne peuvent plus continuer. On dirait que l’on est dans l’inquisition. J’ai quand même été bien brûlé à la jambe et aux reins mais on ne m’a pas mis sur un bûcher !
Pour les principaux pesticides, on a affaire à la manière dont les multinationales dirigent le monde, en cachant des produits extrêmement toxiques, en ne les réglementant jamais. Ce qu’il y a de nouveau, c’est que, suite à ce travail, il y a quand même 44 O.N.G. qui se sont liguées et qui ont fait une coalition sur la base de mes travaux, ce qui représente environ 100 000 personnes. Cela s’appelle secretstoxiques.fr. Pendant le confinement, elles ont réussi à mobiliser 119 députés européens qui ont signé une pétition mais ce n’est pas suffisant. La majorité de droite du Parlement européen est favorable aux lobbies de l’agriculture et des pesticides. Je pense qu’elle basculera un jour parce que l’agrochimie est complètement acquise à la valorisation du pétrole. Les gens s’en rendent peu compte. Des visioconférences ont été organisées avec les agences sanitaires. À l’occasion d’un jugement, le tribunal de Foix a accepté de faire un questionnement préalable à la Cour de justice de l’Union européenne pour se renseigner. La Cour de justice a relu les textes sur les pesticides. C’est le pesticide dans son entièreté qui aurait dû être testé. C’est la loi. On a fait dire aux agences qu’en fait elles ne respectaient pas la loi depuis la Seconde Guerre mondiale et c’est valable pour tous les pesticides. C’est-à-dire que si on respectait la loi à propos des pesticides, en prenant en compte tous les produits non déclarés qui sont des résidus de pétrole – on l’a démontré- les produits alimentaires seraient tous considérés comme non conformes, parce qu’il y a des résidus de pétrole dedans. En fait, quand un préfet dit « l’eau n’est pas conforme, il y a trop de pesticides », c’est quand on est au-dessus de 0,1 microgramme par litre. Or on ne mesure pas les produits cachés de Monsanto. Les résidus de pétrole ne sont pas associés aux pesticides. Dans les aliments, on ne le fait pas. Nous l’avons fait récemment dans plusieurs publication. Si on le faisait, les produits ne passeraient pas, donc, cela rendrait illégale toute l’alimentation non naturelle. On ne peut pas se permettre de le faire. Les lobbies des pesticides continuent donc pour que cela ne soit pas connu et ne se sache pas. La presse appartient à quelques milliardaires. C’est très difficile de la faire sortir de ses idées reçues. Il y a eu un très gros dossier de presse sur les produits toxiques. Mais ça reste secondaire, mêlé à des tas de choses.
Si cet article vous plait, pensez à faire un don. Le fonctionnement du site a un coût. Il n’y a pas de publicité.
Vous avez un bouton « don » sur le côté. Merci de votre participation quel que soit le montant
Pour lire l’article REFLETS n°45 pages 5 à 10