La foi qui croît et la foi qui est crue
KATIE BADIE
D’origine britannique, Katie Badie a été animatrice biblique dans une paroisse anglicane de la City à Londres avant de venir en France pour faire des études de théologie. Pendant 16 ans elle a été pasteur dans une Eglise protestante évangélique à Paris. Mariée, elle est mère de deux enfants lycéens. Actuellement elle est responsable du Service biblique de la Fédération protestante de France.
Faites-vous une différence entre foi spirituelle et foi religieuse ?
Quand j’étais jeune, je refusais l’étiquette « religieuse » pour ma foi chrétienne. Il est vrai que mon lien avec la religion institutionnelle était lointain et informel, passant par un cercle d’amis, la lecture de la Bible et le christianisme ambiant. Quand finalement j’ai commencé à fréquenter une église locale, j’ai eu le sentiment de trouver une famille plutôt que d’adopter une pratique religieuse. Pour une partie des protestants, c’est la foi du cœur qui compte. Dans certains milieux, le baptême n’est administré qu’à ceux qui font profession d’une foi personnelle ; on est attentif aux signes d’un engagement spirituel intime et d’une relation vivante avec le Christ. Dans ces cercles, l’intérêt pour les formes de la religion peut paraître plutôt suspect !
Mais pour tous les protestants, la conscience individuelle devant Dieu et la nécessaire action de l’Esprit-Saint dans le cœur et l’intelligence, pour comprendre les Écritures notamment, sont fondamentales. Selon l’Évangile de Jean, Jésus dit : « Le vent souffle où il veut ; tu l’entends, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi de quiconque est né de l’Esprit » (Jean 3:8). Insaisissable et indéfinissable, le souffle de l’Esprit-Saint précède et suscite la foi ; il crée la communion avec Dieu. Le Nouveau Testament utilise très peu le vocabulaire de la religion : la seule fois où il est appliqué aux chrétiens est dans l’Épître de Jacques : « Si quelqu’un se considère comme un homme religieux alors qu’il ne tient pas sa langue en bride, mais qu’il se trompe lui-même, sa religion est futile. La religion pure et sans souillure devant celui qui est Dieu et Père consiste à prendre soin des orphelins et des veuves dans leur détresse, et à se garder de toute tâche du monde » (Jacques 1:26-27).
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Alors oui, je faisais pendant de nombreuses années une distinction nette entre foi spirituelle et foi religieuse. Cependant, il faut aussi accepter le regard extérieur sur son vécu personnel et, selon les catégories sociologiques, ma foi était dès le départ une foi religieuse. Puis, en poursuivant un chemin de foi personnel, et ceci sans rupture ni autre conversion, j’ai intégré les pratiques, l’histoire et la théologie de la religion chrétienne et je suis devenue pasteur et bibliste protestante ! Enfin, il faut reconnaître que même dans les cercles où l’on insiste le plus sur la profession personnelle de la foi, il existe des cours de préparation au baptême et des pratiques (plus beaucoup) plus normatives et ritualisées que l’on veuille bien admettre ! La foi a aussi un contenu transmis ; il existe la foi qui croit et la foi qui est crue .
fides qua creditur, fides quae creditur
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Y a-t-il une hiérarchie ?
Mon itinéraire personnel me dispose à privilégier la foi spirituelle, parce que l’adhésion personnelle et l’intériorité me semblent essentielles. Mais ma foi spirituelle évolue à l’intérieur d’une tradition religieuse spécifique. Dans notre contexte aujourd’hui, la foi spirituelle peut se vivre dans toutes les traditions religieuses et en dehors, par des spiritualités personnalisées, voire non-croyantes ou humanistes.
À première vue, la foi spirituelle pourrait apparaître plus porteuse du sens de notre destin commun et de communion entre les êtres humains. Et il me semble que toute recherche du spirituel ou d’intériorité qui résiste au matérialisme, au consumérisme et au cynisme, crée un terreau favorable à l’ouverture et au dialogue. Cependant, ce serait naïf d’occulter le fait que subsistent des spiritualités mortifères, culpabilisantes et trompeuses, et cela à l’intérieur de toutes les traditions religieuses, et en dehors ! « Prenez garde que personne fasse de vous sa proie au moyen d’une philosophie trompeuse et vide », avertit l’apôtre (Épître aux Colossiens, chap. 2).
Qu’apporte alors la foi religieuse ?
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Lire la Bible, est-ce une pratique spirituelle, religieuse ou intellectuelle ? La Bible dépasse des frontières confessionnelles ; elle fait partie du patrimoine culturel de l’humanité. Aujourd’hui naissent de nouveaux réseaux de lecture de la Bible qui rassemblent des gens de tous horizons. Quelles en seront les interactions avec la pratique religieuse ? L’avenir nous le dira.
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Pour lire la suite Reflets n° 19 pages 18 et19
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