Écrivain, médecin et diplomate, Jean- Christophe Rufin a été élu à l’Académie française en 2008. Engagé dans l’humanitaire à Médecins sans frontières, il a mené de nombreuses missions en Afrique, en Amérique Latine, dans les Balkans en Europe, avant de devenir président d’Action contre la faim. Avec une vie affective assez « chaotique », selon ses dires, il raconte dans son dernier roman Les sept mariages d’Edgar et Ludmilla, paru aux éditions Gallimard, l’histoire d’un couple qui invente une autre manière de s’aimer.
Votre vie est incroyablement bien remplie. Qu’est-ce qui vous pousse à toujours bouger ainsi ?
Deux lectures sont possibles : la négative serait de dire que je suis inadapté à tout ; la positive, que je suis au contraire adapté à tout. Je suis habité par une certaine curiosité. Je n’aime pas la routine et j’ai découvert, il y a vingt ans, que j’avais en moi de la créativité, un imaginaire très débordant qui me permet aujourd’hui de sortir pratiquement un livre tous les ans. Le milieu professionnel ne me donnait pas assez d’espace pour exprimer cet imaginaire que j’ai trouvé dans la littérature. Il y a donc d’un côté ma vie de médecin et de l’autre ma vie d’écrivain, et les deux fonctionnent en parallèle.
Comment en êtes-vous arrivé à des activités humanitaires ?
Ce sont des rencontres, des hasards parfois. La première véritable expérience de rencontre avec une autre culture a eu lieu quand je me suis retrouvé en Tunisie comme coopérant. À mon retour, deuxième opportunité du hasard, c’était le début de Médecins sans frontières, et je m’y suis plongé. Puis je me suis fait des amis dans ces milieux-là, dont certains sont devenus des hommes politiques, Claude Malhuret ou Bernard Kouchner. Quand ce dernier est devenu ministre des Affaires étrangères, il m’a confié une ambassade. Le hasard m’a servi, mais encore faut-il l’accueillir, savoir le saisir. Ma carrière est le reflet de rencontres.
Vos activités sont toutes empreintes d’altruisme. Est-ce un besoin pour vous ?
J’ai choisi de pratiquer la médecine en référence à mon grand-père, médecin lui-même, qui m’a élevé. Cette profession m’a conduit à avoir un regard positif sur le monde, un regard de soin, de compréhension, sans chercher à juger mais à soigner, à comprendre pour améliorer. Mais j’ai retrouvé ce sentiment dans d’autres activités : quand j’étais ambassadeur, je m’intéressais beaucoup à la dimension consulaire de l’activité diplomatique, consistant à s’occuper des Français qui sont à l’étranger. En tant qu’écrivain, j’essaie d’apporter du positif, un souffle, un espoir à travers mes livres. Cela fait partie de ma personnalité. Je suis quelqu’un de plutôt optimiste.
Qu’est-ce qui vous motive à agir pour les autres ? Est-ce une forme de foi dans l’homme ?
Si la question est de savoir si c’est une foi religieuse, la réponse est non. Je suis habité par un certain humanisme militant. Dans toute forme de projet, il peut y avoir un risque d’oublier l’humain. Par exemple, j’ai écrit sur l’écologie radicale. L’écologie est devenue une grande nécessité, à condition de lui donner une dimension humaine et humaniste. Le mouvement vegan qui attaque les boucheries peut être interprété de façon antihumaniste. Dans toutes les idéologies, j’essaie de voir le moment où elles se retournent contre l’homme. Quand vous regardez l’histoire du XXe siècle, toute une série de drames est née du fascisme, du stalinisme qui, à l’origine, était des tentatives d’altruisme qui se sont retournées contre l’homme. C’est cette dimension-là que j’essaie de traquer parce que finalement dans toute forme de projet, il peut y avoir, si l’on n’y prend pas garde, un risque d’oublier l’humain. C’est cela qui m’intéresse.
Votre dernier roman porte sur l’histoire peu ordinaire d’un couple. Est-ce le but de finir ensemble ?
Je dirais que oui. Ce qu’on entend par but, c’est la perspective. Le projet du couple est dans la durée. Alors, on y parvient ou non. Je me suis amusé à faire en sorte que dans des mariages successifs, ce sont les derniers qui sont les plus vrais, les plus denses, comme s’ils avaient assimilé cette dimension de durée avec le temps. Les mariages de passion amoureuse, les mariages de jeunesse, c’est un feu de paille.
Êtes-vous d’accord avec cette assertion commune à tous les engagements, comme le mariage : l’important, c’est de durer ?
Oui, et je le dis aussi aux écrivains. Avoir un succès, c’est bien, mais avoir un succès dans la durée et tenir une forme de contrat avec les lecteurs de façon à apporter à chaque fois quelque chose de nouveau tout en gardant leur confiance, c’est difficile. La durée est une valeur pour moi. Je n’ai jamais aimé la médecine d’urgence, par exemple. Ce qui m’intéresse davantage, c’est la relation qui s’installe. Je pense qu’avec les lecteurs, nous formons une sorte de couple c’est-à- dire que nous sommes investis d’une confiance.
Pour lire l’interview en entier, REFLETS n° 33 pages 32 à 35