Philosophe, sociologue et historien des religions, Frédéric Lenoir est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages. Nous l’avions rencontré en 2015. Il nous présentait ses projets, constatant son manque d’ancrage dans le concret. Depuis il a créé deux associations, Savoir-Être et Vivre Ensemble et Ensemble pour les Animaux. Nous le retrouvons, encore plus occupé, le jour même de son retour du Népal où il tournait un documentaire. Malgré la fatigue, il est disponible, souriant, enjoué. Cet homme de foi incarne les valeurs qu’il développe dans ses livres. En particulier dans le dernier, La Consolation de l’ange, aux éditions Albin Michel.
Vous aviez aussi l’idée d’avancer dans l’engagement associatif.
J’ai eu envie de transmettre de plus en plus, d’où l’écriture du livre La Consolation de l’ange et, depuis 2015, j’ai créé deux associations dont une qui s’appelle SEVE (Savoir Être et Vivre Ensemble), dont le but est d’aider des enfants à grandir en humanité, et pas simplement en connaissances. Ce qui manque à l’éducation, c’est la transmission de ce qui permet d’être meilleur en tant qu’être humain. Pour cela, j’ai développé les ateliers SEVE, avec d’abord une pratique de méditation, qui permet à l’enfant d’être plus attentif, plus présent à lui-même et plus à l’écoute des autres. Suit un temps d’échange appelé « les ateliers philo » où une question est lancée, et chaque enfant donne son avis, en s’écoutant mutuellement. L’idée, c’est de les aider à développer leur pensée personnelle, leur esprit critique et l’écoute des autres dans la bienveillance.
Le concept existe depuis cinquante ans
Le concept existe depuis cinquante ans, je ne l’ai pas inventé. N’ayant pas pu randonner, j’ai fait, pendant un an, le tour du monde des « ateliers philo » et vu ce qui se faisait à l’étranger. J’en ai pratiqué une centaine dans les pays francophones : Canada, Côte d’Ivoire, Suisse, Belgique, etc. J’en ai fait un livre, Philosopher et méditer avec les enfants, sorti en 2016, et qui vient de sortir en poche. L’association SEVE vise à former des enseignants ou des animateurs à mener ces ateliers : 4 000 personnes l’ont été en quatre ans. Aujourd’hui, nous avons dix salariés. Grâce à l’agrément du ministère de l’Éducation nationale, nous allons faire des ateliers de philosophie dans les écoles, surtout publiques, en priorité dans le primaire, pour les six à onze ans. Des enseignants du secondaire suivent aussi la formation SEVE en vue de les pratiquer au collège ou au lycée dans le cadre des cours d’instruction morale et civique. Plus de 200 000 enfants en ont bénéficié. Ils adorent ça.
Le sens de la vie se résume-t-il aux trois conquêtes que vous citez souvent : de la peur à l’amour, de l’ignorance à la connaissance et de l’inconscience à la conscience ?
C’est mon expérience de vie. Les trois conquêtes ont été d’apprendre de plus en plus. Au fond, cela résume deux quêtes, celle de la liberté et celle de l’amour, qui sont les deux plus grandes valeurs humaines pour moi. Elles s’épaulent mutuellement : plus on est libre, plus on aime, et plus on aime, plus on est libre. On est capable de quitter son ego, d’être en communion avec la vie, avec les êtres. Alors que, limité dans sa liberté, esclave de ses passions, de ses addictions, il est difficile d’aimer vraiment. J’essaie d’incarner concrètement cette croissance de l’amour à travers mes engagements citoyens, pour que cela ne reste pas seulement des idées.
Comment voyez-vous les temps qui viennent, du point de vue sociologique, spirituel et chrétien ?
De moins en moins de gens entrent dans la formulation dogmatique d’une religion quelle qu’elle soit. Ils font le tri, prennent les choses auxquelles ils adhèrent et rejettent le reste. Ils vont parfois à la messe sans suivre la morale prônée par l’Église. La norme n’est plus la tradition, c’est l’individu qui va chercher dans la tradition ce qui l’intéresse et qui rejette ce qui ne l’intéresse pas. À l’échelle de l’histoire de l’humanité, c’est une révolution : l’individu devient plus important que la tradition. Les institutions, n’ayant plus de pouvoir sur les individus, explosent, et je dirais tant mieux. D’un point de vue spirituel, c’est une très bonne chose, car, me semble-t-il, une religion qui contrôle les gens joue un rôle politique. La spiritualité, ce n’est pas contrôler les individus, c’est leur permettre d’être autonomes et de s’émanciper. Je pense que l’infantilisation des individus par les institutions religieuses est une époque révolue. Mais certains individus ont besoin d’être infantilisés. Psychologiquement, ils sont en insécurité et cherchent des gourous et des religions pour leur dire la vérité : où est l’erreur, où est le salut, où est la perdition. Tant que des gens auront ces besoins-là, les religions telles qu’on les a connues continueront d’exister. Il y aura toujours des institutions pour les gens qui ont besoin d’être rassurés. Et les autres seront soit dans l’indifférence religieuse, soit dans une spiritualité plus personnelle.
Qu’est-ce qui donne du sens à la vie ?
Pour moi, c’est grandir en humanité, s’améliorer comme être humain. Le plus important pour y parvenir, c’est de grandir en amour et en liberté, les deux grandes valeurs qui, selon moi, donnent du sens à notre vie. Aujourd’hui, ce qui donne du sens à la mienne, c’est d’incarner ces valeurs : d’abord à travers les livres que j’écris pour aider les gens à mieux se connaître, donc à être plus libres et peut-être à aimer un peu plus, et à travers mes engagements associatifs qui me donnent le sentiment d’être utile aux autres.
Savoir Être et Vivre Ensemble (SEVE) : asso.seve.org
Ensemble pour les animaux : www.ensemblepourlesanimaux.org
Pour lire l’article en entier REFLETS n°35 pages 62 à 67