Faire face à cette maladie du XXIème siècle
Entretien avec Ilios Kotsou
Ilios Kotsou est belge, chercheur à l’université libre de Bruxelles. Il est cofondateur d’Émergences, association qui vise à partager les connaissances scientifiques et à financer des projets humanitaires. http://www.emergences.org
La tristesse est une caractéristique de la dépression. Est-elle nuisible ?
Je ne dirais pas cela. Selon de nombreux chercheurs, toutes nos émotions sont utiles. Privés d’émotions, nous n’aurions pas d’indicateur sur nos priorités, nous aurions des difficultés pour prendre des décisions ou communiquer, entre autres choses.
Les émotions sont capitales dans notre capacité d’adaptation au monde, tant pour ce qui nous menace que pour ce qui nous réjouit. Dès lors, la tristesse comme la peur, la colère, le dégoût mais aussi la joie, le contentement ou la gratitude, tous ces sentiments donnent des couleurs à la vie et nous préparent à réagir au mieux à notre environnement. Mais lorsque ce système se dérègle et que nous sommes submergés par nos émotions, la souffrance peut effectivement être présente. Un état de tristesse prolongé peut se décliner en de la perte d’intérêt, faire naître des sentiments de culpabilité, des troubles du sommeil ou de l’appétit, ou encore donner lieu à des sensations de fatigue et autres symptômes qui, se présentant concomitamment sur la durée, seront qualifiés de dépression.
Il n’est alors plus question d’un mal-être passager, tout à fait naturel face à une perte ou à un manque (décès d’un être cher, perte d’emploi ou problème de santé), mais d’un sentiment plus durable de paralysie, d’anesthésie tant mentale et émotionnelle que physique.
La dépression est-elle un phénomène social ?
Il est important de noter que la dépression n’est pas un phénomène marginal. Selon l’Organisation mondiale de la santé, ce trouble émotionnel est la première cause d’invalidité dans le monde et touche plus de 350 millions de personnes. On peut donc craindre que la dépression soit en train de devenir la maladie du 21e siècle. C’est un phénomène complexe qui implique des mécanismes tant internes, interpersonnels que sociétaux. Il serait donc simpliste de prétendre à une explication unique. Il y a cependant des pistes de compréhension que je trouve intéressantes.
Premièrement, notre bien-être est lié à celui des autres et à la qualité de nos relations avec eux. Une étude scientifique récente, qui a suivi près de 5 000 personnes sur dix ans, a montré que les personnes qui avaient de plus grandes difficultés relationnelles avaient un risque de dépression doublé comparé aux autres. Au niveau sociétal, d’aucuns prétendent que l’exacerbation de l’individualisme et la culture de compétition, installées depuis l’enfance, participent au délitement du lien social et à l’augmentation du sentiment de solitude et d’isolement, tous deux liés à la dépression.
On peut également pointer une certaine dérive « utilitariste » de nos sociétés. Une personne ne vaut hélas souvent que par ce qu’elle produit : une personne âgée, au chômage ou handicapée se trouvera dès lors stigmatisée et plus vite marginalisée, rejetée. Nous sommes simultanément exposés à un modèle de vie basé sur la consommation, duquel tout une partie de la population est exclue, et d’autre part, exposés à énormément d’informations négatives (violences, attentes, meurtres, etc.) sans les solutions pour y répondre. Avec la perte des grands repères sociaux et moraux, cela peut créer ce que le psychiatre Viktor Frankl appelait le vide ou désespoir existentiel, et qui était d’après lui la principale cause de détresse psychologique.
Quelles sont alors les pistes de solution ?
Elles sont en lien avec ce que nous venons d’aborder : au niveau collectif, favoriser le capital social et les relations envers les personnes. Promouvoir une société basée sur des valeurs intrinsèques comme l’altruisme et la coopération, tant dans le système éducatif que dans nos entreprises. Favoriser les liens dans tous les domaines : on peut penser aux habitats intergénérationnels, aux coopératives, aux jardins partagés, etc.
De très nombreuses initiatives fleurissent aujourd’hui dans ce sens, que ce soit au niveau de l’éducation, de l’habitat, de la protection de l’environnement, du commerce…
Pour lire l’article en entier, Reflets n° 21 pages 66 à 68