Envoyé spécial du Président de la République pour la protection de la planète et président de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, Nicolas Hulot aime rappeler qu’il « n’est pas né écologiste, mais qu’il l’est devenu ». L’aventurier qui a parcouru la planète en est tombé amoureux. Citoyen du monde, il milite ardemment pour que sa protection soit le fondement d’un regard nouveau respectueux de la vie. www.fnh.org
L’écologie n’est-elle pas attendue ailleurs qu’à un niveau politique ?
Le préalable pour sortir des crises, c’est d’être capable de s’extraire de la politique partisane. Les paramètres du XXIe siècle n’ont plus rien à voir avec ceux du XXe siècle, mais les grandes formations politiques traditionnelles n’ont pas changé de « logiciel ». Nous sommes dans des enjeux universels qui dépassent largement les fractures politiques du siècle précédent. Vous avez trois paramètres qui changent la donne et qui vont conditionner le modèle économique de demain, les relations géopolitiques et les relations entre communautés. Premier paramètre, la vulnérabilité. À cause de 150 ans d’activité industrielle, nous découvrons le seuil critique de résistance de notre écosystème, avec, au premier rang, les changements climatiques. Deuxième paramètre, la rareté. On est passé d’un monde d’abondance, si tant est que ce mot ait un sens pour de nombreux pays, à un monde de la rareté. Si on ne pilote pas la rareté des ressources naturelles, on bascule dans la pénurie. La pénurie, c’est la guerre, la guerre à tous les étages. On a été tellement puissant qu’on a épuisé notre capital en l’espace de quelques décennies ! Le troisième paramètre, alimenté par les deux premiers, c’est celui des inégalités parce qu’elles se creusent et sont visibles dans le monde connecté qui est désormais le nôtre. Les choses peuvent rester en l’état tant qu’elles sont cloisonnées et qu’elles s’ignorent.
Prenez un exemple très simple : une femme dont le bébé va mourir d’une maladie contre laquelle on a les médicaments de l’autre côté d’une frontière. Tant qu’elle ne sait pas qu’il existe un remède, elle considère que c’est le destin. Quand elle sait que, à quelques centaines ou milliers de kilomètres, son bébé pourrait survivre, vous créez effectivement les conditions de la révolte. Voilà les paramètres du XXIe siècle. Vous êtes obligés de partager, sinon vous aurez ces fractures dans le monde entier, selon des schémas auxquels personne n’avait pensé, différents des blocs est-ouest ou nord-sud, plus simplement, entre les riches et les pauvres.
Votre souhait le plus profond est donc de construire un nouveau monde. De quelle manière ?
Ce monde doit répondre à des équations compliquées, au premier rang desquelles : comment combiner les enjeux du long terme avec les souffrances du court terme. Il faut avoir sur le nez deux paires de lunettes simultanément, une pour voir de près, une pour voir de loin. Quand on regarde les deux en même temps, on voit trouble. On aura besoin du génie humain, d’outils technologiques, d’économie…
On aura besoin d’orienter, de hiérarchiser, de flécher des investissements. On aura besoin d’instruments politiques, c’est-à-dire de règles. Mais le plus urgent, c’est d’abord de comprendre comment nous sommes arrivés dans cette impasse. Qu’est-ce qui fait qu’à un moment les choses ont été dévoyées ? Malgré un succès indéniable de la science, pourquoi tout cela est-il en train de se retourner contre
l’homme ? Nous avons transgressé un certain nombre de valeurs, la notion même de progrès, en confondant progrès et performance, fins et moyens. Nous sommes dans une profonde crise de sens.
Vous avez foi dans l’homme ?
J’ai foi dans l’homme et dans l’humain. Dès lors qu’on le favorise, l’humain est comme une plante : il s’épanouit et révèle ce qu’il a de meilleur, mais si on l’anéantit… Or aujourd’hui, dans un monde connecté où tout s’expose, où tout se sait, les inégalités sont de plus en plus criantes et marquées, – Patrick Viveret le décrit très bien – des gens qui ne sont pas traités de manière équitable sur un plan démocratique, économique, sanitaire, basculent au bout d’un moment dans une forme de radicalité, parce que vous ne pouvez pas ajouter de l’humiliation à l’exclusion…
Pour lire la totalité de l’article… REFLETS n°13 pages 58 à 61