Destin Remarquable
L’émir Abd el-Kadder visionnaire,
stratège militaire… et maître spirituel
par Maryline Hubaud
Connu comme un guerrier émérite, Abd el-Kadder fut l’adversaire le plus redouté de l’armée française en Algérie. Ne garder que cette vision de cet homme de sagesse serait réducteur tant il a cherché à œuvrer pour un monde universel, cimenté par les vertus que l’humanité doit mettre en commun. Précurseur, il était doté d’une éthique politique particulièrement respectueuse de la loi religieuse, afin de ne rien faire qui puisse nuire à son peuple ni aux autres.
Accepter l’autre quel qu’il soit, comme un élément qui pouvait enrichir sa propre compréhension de la vie et tendre vers un modèle d’Homme universel, tel que le définit le soufisme.
Tant qu’il y aura des sages sur terre, l’humanité sera sauvée… L’Émir Abd el-Kadder, inspiré de la tradition soufie, fait partie de ceux qui par leurs actes, leurs rencontres, leurs choix et leur vie de contemplation ont contribué à cette évolution.
Né en 1808 au sein d’une famille de lettrés soufis, il grandit dans une Algérie imprégnée de traditions où l’éducation se fait principalement au sein des Zâwiyas, lieux d’enseignement traditionnel et d’initiation spirituelle, garants de toutes les formations. Ainsi, la courtoisie, le respect de la parole donnée, le sens du devoir et la notion de hiérarchie dans l’ordre de la création, tous conformes à la pensée musulmane, y sont inculqués.
Abd el-Kadder, en plus de cette éducation religieuse, morale et intellectuelle, est formé au plan de l’adresse et de l’endurance physique. Il est donc éduqué aussi bien par l’action que par la méditation, sur un ensemble de disciplines telles que les sciences religieuses, la langue et la littérature arabe, les mathématiques, l’astronomie, l’histoire et la philosophie.
À tout juste 20 ans, il participe à la résistance populaire face à l’armée française, prend le contrôle des principales villes côtières, et se distingue très vite par sa bravoure. Il devient alors Émir, titre qui lui confère pouvoir et autorité spirituelle. Il organise un état, met en place toute une société autour de lui et, en fin stratège, établit des relations diplomatiques pour gérer son territoire. Pendant 15 ans, il conduit une lutte presque incessante contre l’occupant. Ses hommes, avec une fidélité sans faille, le suivront dans tous les combats jusqu’à la fin, jusqu’à l’exil.
(…)
« Nous ne nous sommes pas permis d’assumer la tâche du gouvernement par ambition, par orgueil ou par amour du pouvoir ni pour les vanités de ce bas monde, mais – et Dieu lit dans le fond de mon coeur – pour combattre la cause de Dieu, pour prévenir la fratricide effusion du sang musulman, pour protéger leurs propriétés et pour pacifier le pays comme l’exige la ferveur de la foi et du patriotisme. »
Ce qui le distingue de tous les hommes de pouvoir, outre sa capacité à rassembler et à gouverner, c’est sa tentative de poser les fondements d’un état moderne imprégné de sa vision spirituelle. Le comportement chevaleresque, la grandeur morale et l’humanité de l’Émir sont reconnus par tous ceux qui le combattent.
(…)
“Ne demandez jamais quelle est l’origine d’un homme,
interrogez plutôt sa vie, ses actes, son courage, ses qualités
et vous verrez qui il est.”
(Emir Abd el-Kadder)
En ce qui concerne la défense que nous avons prise des populations chrétiennes et la protection que nous leur avons accordée, dans leurs personnes et dans leurs biens – dans la proportion de nos moyens et de notre zèle – tout cela, comme vous le savez très bien, n’est que l’accomplissement des dispositions de notre Sainte loi et de ce que commande l’Humanité́. » (Lettre d’Abd el-Kader à Chamîl)
Humaniste et visionnaire, intellectuel passionné par l’étude, philosophe, poète, guide spirituel et homme de modernité, Abd el-Kader est animé par une foi enthousiaste dans l’avenir et le progrès de l’humanité. Témoignant en permanence d’un intérêt tout particulier pour les innovations techniques, il adhère au projet de construction du canal de Suez.
Maître spirituel, il a suivi la voie soufie, la voie du juste milieu, inspiré par son maître, le Cheik Ibn’Arabi, auprès duquel il a demandé à être inhumé. Il aborde dans ses méditations les thèmes qui lui sont chers : l’unité divine et le ravissement amoureux, l’élan du pur amour et de l’adoration parfaite.
« Si les musulmans et les chrétiens avaient voulu me prêter leur attention, j’aurais fait cesser leurs querelles ; ils seraient devenus, extérieurement et intérieurement, des frères.»
Pour lire l’article en entier, Reflets n° 19 pages 72 à 74
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