Il se définit comme un passeur-cueilleur, au confluent de disciplines et de courants de pensées différentes. Patrick Viveret est un acteur majeur des mouvements altermondialistes. En 2001, il a participé au premier forum social mondial à Porto Allegre. Il est le fondateur de « Dialogues en humanité », rencontres qui ont pris une dimension mondiale.
Philosophe, magistrat, économiste, il est l’initiateur du Mouvement SOL à l’origine de la monnaie complémentaire du même nom. Le Mouvement Sol œuvre au service d’une société plus écologique, démocratique et solidaire.
Qu’est-ce que ça veut dire pour vous « changer le monde » ?
Nous sommes rentrés dans une nouvelle période historique, confrontés à une nature en partie inhospitalière qui va dépendre beaucoup de ce que fait l’humanité dans la prochaine décennie. Elle est critique, selon le terme des Nations Unies, car quels que soient les cas de figure, même les plus optimistes, on subira les effets du dérèglement climatique avec une partie des terres devenue inhabitable. Il y aura une montée des eaux, des phénomènes climatiques extrêmes de type grandes tempêtes, méga feux, cyclones. Si l’humanité continue à privilégier les logiques de rivalité ou de guerre à l’égard du vivant, les situations deviendront de plus en plus catastrophiques. Le grand enjeu, c’est d’aller vers une humanité plus humaine. Je reprends volontiers l’expression d’Edgar Morin qui considère que le choix sera entre des logiques post humaines, du genre de ce que nous propose le transhumanisme, des logiques de régression qui sont parfaitement possibles et qui peuvent retrouver des formes guerrières ou barbares, ou la voie possible de l’humanité plus humaine. Une humanité plus sage mais pas au sens ascétique du terme. Sagesse a la même origine que saveur, donc une humanité dans laquelle le respect de la vie, le bien vivre jouent un rôle déterminant. Aujourd’hui, une grande partie de l’intelligence est mise au service de logiques destructrices, à commencer par l’armement. Je ne suis pas sûr que l’expression « changer le monde » soit bien adaptée parce qu’il y a toujours l’illusion qu’on pourrait s’extraire de l’humanité, nous sommes de toute façon de la pâte humaine. On résume ça dans les dialogues en humanité à travers ce qu’on appelle le double PFH, le « putain de facteur humain ». Si on élimine le PFH par la porte, il rentre à nouveau par la fenêtre. Nous sommes des êtres humains avec toutes nos composantes minérales, végétales, animales, conscientes. Le métier d’être humain pour reprendre une expression d’Alexandre Jollien, est un métier passionnant mais c’est le plus difficile qui soit .Rien n’est plus difficile que de monter en qualité de conscience, de démocratie.
Donc pour vous, changer le monde ça veut dire s’occuper d’abord des humains ?
L’un des enjeux est le rapport entre l’humanité et le vivant, car la question de la dureté se pose aussi bien dans les rapports interhumains que dans les rapports avec la nature. L’enjeu écologique visant à ne pas aggraver les choses par rapport à la nature et aux écosystèmes vitaux est évidemment une nécessité. Mais si on ne considère que l’enjeu écologique sans s’occuper de la question interhumaine, sans voir que les logiques de guerres et de rivalités peuvent parfaitement se produire aussi dans une perspective écologique, cela donne le survivalisme guerrier. Dans les dialogues en humanité, on voit que l’humanité pèse énormément sur le mouvement même des écosystèmes. Pour l’essentiel aujourd’hui l’anthropocène se traduit sous forme destructrice. L’autre volet, c’est la nécessité d’une l’humanité devenant généreuse, plus solidaire et mobilisant davantage son intelligence contributrice et positive.
Quelles sont les conditions pour que l’humanité aille dans ce sens ?
Cela se joue à toutes les échelles, de la personnelle jusqu’à la planétaire. Mobiliser une intelligence contributive plutôt qu’une intelligence destructrice, progresser en qualité de sagesse se joue à titre personnel mais aussi dans tous les problèmes sociaux, écologiques, économiques, politiques, spirituels et religieux. Si je prends l’exemple du risque de guerre de tous contre tous, le choix est vaste : nouvelles guerres de religion sur le plan spirituel, guerres internationales, civiles sur le plan politique, accroissement des inégalités sur le plan économique et social. L’alternative est la justice sociale face aux inégalités, la paix au lieu des grandes fractures de guerre et la capacité à bien comprendre que l’humanité n’est menacée que par sa propre inhumanité, non par des extraterrestres. Sur le plan religieux, l’alternative d’une logique identitaire au nom de laquelle Dieu est mobilisé pour exclure ou même tuer autrui, réside dans une démarche où la paix est centrale, partagée par toutes les traditions spirituelles. Cela redonne à la question de la démocratie une importance cruciale. Pas celle de compétition mais de délibération, de participation par la qualité d’échange interhumain pour traiter de grands défis.
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Pour lire l’interview REFLETS n°39 pages 35 à 37
Cette publication a un commentaire
L’interview de Patrick Viveret fait vibrer et prendre conscience de la gravité de la situation et en même temps, il donne des clés. Merci.
Et si on commençait sur le plan personnel, en suivant la méthode AER proposée dans les ateliers d’écriture? Faire de petits pas est mieux que de rester spectateur immobile et pessimiste!