Dominicain, puis prêtre orthodoxe, Jean-Yves Leloup est écrivain, théologien et philosophe. Il est le fondateur de l’Institut pour la rencontre et l’étude des civilisations et du Collège International des thérapeutes. La part du féminin est très importante dans votre enseignement. Pourquoi ? À l’origine j’avais pas mal de difficultés avec cette part, à travers la relation avec ma mère et d’autres femmes de mon entourage. Le féminin, c’est l’autre moitié. Il n’y a pas de masculin sans féminin, comme il n’y a pas de nuit sans jour. L’important, ce sont les noces, l’intégration de ce masculin et de ce féminin. C’est aussi un enseignement de Graf Durkheim. On ne peut pas avoir accès à la dimension spirituelle si on n’est pas réconcilié avec son féminin, sa dimension contemplative. Le féminin, ce n’est pas simplement le sexe féminin, la femme opposée à l’homme, c’est cette dimension féminine sans laquelle on n’a pas accès à la plénitude du réel. La dimension masculine est plus analytique, plus rationnelle. La dimension féminine, plus intuitive, plus silencieuse, plus charnelle, plus terrestre. D’où l’importance d’être en paix avec son féminin comme avec son masculin. Dans l’Évangile de Thomas, il est dit à propos de Marie-Madeleine qu’elle doit aussi intégrer sa dimension masculine. Son langage était celui de l’émotion, des larmes, le langage des cheveux fins ; elle avait à découvrir qu’elle était aussi capable de parole, d’enseignement. Qu’on soit de sexe masculin ou de sexe féminin, on a tous à épouser notre autre moitié pour devenir un être humain entier. Etre en paix signifie être entier. Donc, si une dimension de nous-mêmes est oubliée ou refoulée, il n’y a pas de paix possible. Mais ces noces du masculin et du féminin ne sont pas toujours évidentes. Ce sont les deux hémisphères de notre cerveau, c’est là que ça commence. Cette réconciliation passe-t-elle aussi nécessairement par la réconciliation à l’extérieur, par le couple ? Je crois que c’est la voie naturelle ; notre féminin est extériorisé dans la présence de la femme. Il y a attirance mutuelle, attraction ou répulsion, ce n’est pas toujours simple. Quand l’homme a réintégré son féminin, ou la femme, son masculin, ce ne sont plus deux moitiés qui se rencontrent, mais deux êtres entiers, deux humanités qui s’inclinent l’une devant l’autre. Il n’y a pas de pouvoir de l’un sur l’autre. Sans intégration de notre dimension oubliée, cette relation de personne entière à personne entière est impossible. On est ensemble non pour se mettre la corde au cou, mais pour couronner l’autre. C’est la tradition orthodoxe du sacrement de l’alliance, aussi appelé le mariage. C’est un beau symbole de se dire qu’être ensemble, c’est se conduire l’un l’autre vers notre plénitude, notre couronnement. Chacun doit porter ses propres fruits, devenir lui-même. La couronne de l’un n’est pas la couronne de l’autre. Il s’agit d’aimer la liberté de l’autre, car sans liberté, il n’y a pas d’amour non plus. Cela se vit dans le concret, parce que vivre quotidiennement avec quelqu’un, c’est le grand exercice. On ne prend pas l’autre comme son autre moitié, quelqu’un de complémentaire, – ce qui est déjà infiniment précieux -, mais on l’aime vraiment comme un autre, à la fois tout autre et tout nôtre. Comme dans notre relation avec l’Absolu, c’est le Tout Autre et en même temps, le Tout Nôtre. C’est transcendant et immanent. L’autre est en moi et je suis dans l’autre. C’est l’interrelation, l’interconnexion qu’on découvre au cœur même de nos atomes. Pour avoir connu la vie monastique et la vie en couple, aucune d’elles n’est simple. L’important, c’est l’amour. Vivre dans la solitude avec le cœur sec, la peur et le mépris de l’autre ne nous conduira pas au paradis. Si cet article vous plait, pensez à faire un don. Le fonctionnement du site a un coût. Il n’y a pas de publicité. Vous avez un bouton « don » sur le côté. Merci de votre participation quel que soit le montant. Pour revenir au corps, quel est le rôle du Collège international des thérapeutes ? Quelle est cette approche de la maladie ? L’approche de la maladie selon le Collège des thérapeutes, c’est prendre soin de l’être dans son entièreté, d’abord physique : de notre nourriture, de nos maladies et de tous les éléments de la nature qui peuvent aider à nous soigner, à nous guérir. Toutes les dimensions sont à prendre en considération : le rythme, le jeûne, les vêtements, comment on enveloppe le corps. À côté, il y a ce qui anime le corps, l’anima, l’âme, la psyché, les sentiments, les émotions, les désirs qui nous habitent. Il y a aussi un soin éthique : quel est notre désir, vers quoi nous sommes orientés ? Il s’agit aussi d’écouter la dimension des rêves. Surtout, la spécificité des thérapeutes, c’est de prendre soin de la dimension spirituelle de l’être humain, pas simplement des symptômes, des douleurs. On essaie de réveiller ce qui va bien en chacun de nous, parce que c’est à partir de cette étincelle de lumière, de paix, de santé, de grande santé, au-delà de notre petite santé, que la guérison peut advenir. D’où l’importance de la méditation, à laquelle le thérapeute essaie d’initier la personne accompagnée, pour entrer en contact avec le Soi ou l’être essentiel, le « je suis » qui va bien. Et peut-être alors arriver à la guérison. C’est important au niveau psychologique : le transfert ne se fait pas simplement par projection sur l’autre. Thérapeute ou patient, nous sommes l’un comme l’autre à l’écoute du Troisième, de Celui qui nous fait exister. Comme le disait Françoise Dolto : « Je vous prête mes oreilles afin que vous puissiez mieux vous entendre. » C’est une belle définition du thérapeute. Ecouter sans angoisse l’angoisse de l’autre. Permettre à l’autre d’écouter sa propre parole et au cœur de cette parole, peut-être le logos, la formation créatrice, la grande parole du Vivant qui parle autant dans le cœur du patient que dans celui du thérapeute. On redouble notre écoute à l’égard de l’être essentiel, de l’être qui va bien