Ancien normalien et agrégé de philosophie, Bertrand Vergely enseigne à l’Institut de Théologie Orthodoxe de St Serge. Il intervient dans les Unités de soins palliatifs, à Tourset à Reims, pour aborder le sens à donner aux expériences de souffrance et de mort.
Trois aspects de Bertrand Vergely nous ont frappés lors de cette rencontre :
– la clarté de sa pensée, loin des errements noueux de la philosophie habituelle.
– l’affirmation de son point de vue : Bertrand Vergely est un homme rayonnant d’une certitude issue de sa pratique.
– son courage ; non pas celui des héros de jeux sur écran, mais dans sa hardiesse à parler de l’obéissance à Dieu, qui conduit à la vérité, à la vraie vie.
Au fil de l’entretien nous en comprenons la cause. Bertrand Vergely nous dit sa rencontre bouleversante avec son maître intérieur qui le guide jusque dans ses mots.
Si la philosophie est une sagesse, la foi se nourrit d’actes. Dans quel domaine se situent vos actes ?
Tout dépend de ce que l’on appelle acte et de ce que l’on appelle sagesse. Dans Les fondements de la métaphysique des moeurs, Kant rappelle bien ce qu’agir veut dire au sens philosophique, quand il souligne qu’une action agit non pas simplement quand elle agit, mais quand elle agit
moralement. Cela vaut pour la philosophie ainsi que pour la foi. On agit quand l’action que l’on déploie donne à penser, et quand elle fait retentir quelque chose de transcendant. En ce sens, mes actes se situent autant dans ma parole que dans mes écrits. La vie m’a mis là où je suis aujourd’hui. Ce n’est pas pour rien, ni par hasard. Elle m’a dit, non pas d’agir au lieu d’enseigner, de parler et d’écrire, mais d’être agissant par l’enseignement, par la parole et par l’écriture. C’est donc là où se situe mon action. Je m’efforce d’être agissant là où la vie m’a mis, en enseignant, en parlant et en écrivant de tout mon être.
Avez-vous une pratique qui permet d’y accéder ?
C’est toute la vie qui permet d’y accéder. Dans la tradition orthodoxe, cela commence par la liturgie et, avec elle, la communion. L’essence de l’être se trouve là. Dans la participation pleine et entière à la plénitude de la vie symbolisée par le Christ. Cela passe également par la prière, notamment la prière du coeur qui, nous amenant à nous sentir petits devant l’immense, nous met dans un état d’extrême attention. Quand on est dans la vie liturgique ainsi que dans l’attention extrême donnée par la pensée, une rencontre bouleversante se fait : celle de ce que l’on peut appeler « le maître intérieur ». Il y a en nous un Autre qui sait qui nous sommes. Saint Augustin l’appelle « cet étrange étranger plus intime à moi-même que moi-même ». Cet Autre, cet étrange étranger nous guide quand on se laisse guider par lui. D‘une extraordinaire justesse, c’est lui qui fait que l’on devient agissant. C’est lui qui permet de le devenir. La notion de dialogue prend un sens, le dialogue étant le Logos qui nous traverse de part en part. Et devenant une réalité, ce dialogue nous fait comprendre ce qu’agir veut dire, agir voulant dire vivre et faire vivre ce qui permet à la vie de s’accomplir. En fait, la vie spirituelle nous permettant d’aller dans les profondeurs de nous-mêmes, celle-ci est la matrice de toute action en permettant à la vie de s’accomplir. Ce qui est le sens de l’action pleine et juste.
Ce Maître Intérieur correspond-il au Paraclet dans l’Évangile de Jean ?
Oui et non. Le Paraclet renvoie à une dimension à la fois ontologique et eschatologique, le Christ désignant le modèle de l’Homme accompli à travers l’unité du Ciel et de la Terre, du visible et de l’invisible dans le cadre de la Personne avec un P majuscule. Le Maître Intérieur désigne une réalité intime sous la forme d’une rencontre avec cet Autre en nous qui sait mieux que nous-mêmes qui nous sommes et ce dont nous avons besoin. Si le Paraclet dévoile les secrets
de l’univers et plus précisément du mystère de la création, le Maître Intérieur dévoile les secrets de notre être.
…Pour lire la totalité de l’article, REFLETS n°14 pages 67 à 71