En janvier 2022, le scandale des EHPAD éclatait, déclenché par la parution du livre-enquête de Victor Castanet Les Fossoyeurs (éd. Fayard). Tout y passait : la maltraitance, le délaissement, la sous-nutrition, les tricheries sur les subsides publics, etc. Depuis, les contrôles ont été renforcés, les règles budgétaires mieux définies. Des progrès sont notables sur la qualité des équipements, sur la nourriture, mais l’attention aux personnes reste un problème majeur. Rien n’a changé sur le manque de personnel. La plupart des EHPAD sont touchés par cette situation.
Le problème de fond des maisons de retraite n’est jamais abordé.
Comme si un consensus avait lieu, définissant l’objectif : le bien-être matériel des résidents et leur occupation au quotidien. Or se contenter d’écouler les journées est un désespoir de l’âme. Même les maisons de retraite les plus luxueuses, les mieux loties, n’échappent pas au fait que les résidents sont dans une situation d’attente de la mort
comme une délivrance, tout en la redoutant. Ils sont comme des vieux objets obsolètes qu’on maintient en état de marche jusqu’à ce qu’ils soient définitivement cassés.
Comment être joyeux dans cette situation ?
Or la vieillesse ce n’est pas ça. La société s’obstine à ignorer la grandeur de cet âge.
La vieillesse fait perdre le monde extérieur pour gagner le monde intérieur.
On perd, par la maladie ou l’usure, la mobilité.
L’espace se réduit. En début de retraite, on part en voyage, en croisière, en avion, en auto. Puis la distance raccourcit, conduire devient difficile surtout la nuit. Puis on ne sort que très peu du jardin, de la maison sauf quand on vient vous chercher. Puis l’espace se réduit encore à la chambre, puis au lit. Chemin inverse de l’enfant, du berceau au vaste monde. On perd celui-ci par les organes des sens qui s’altèrent, la vue, l’ouïe, le goût…
Il faut comprendre que le but est de gagner la vision intérieure.
Voir ce qui échappe habituellement aux yeux ordinaires est plus qu’une compensation, c’est une révélation.
Idem pour la perte de l’audition. Mieux entendre la petite voix intérieure auparavant étouffée par les bruits et l’agitation de la vie quotidienne constitue une dégustation qui donne un autre goût de la vie, pas du tout la même qu’auparavant.
Le vieillard est destiné à se réjouir de ce qui lui reste,
tant ne plus être soumis au jeu de la consommation est reposant. Sa richesse est de se nourrir « ailleurs », dans la contemplation accompagnée de louange et de remerciement. Mais qui lui enseigne cette autre manière de vieillir ? Qui l’accompagne dans ses pertes et ses découvertes ?
Les EHPAD ne sont pas organisés pour ça,
et ce n’est pas leur but. Surtout en France. La laïcité à la française, dont se targuent les politiques, est en réalité une attitude anti-spirituelle et antireligieuse. On ne parle pas religion et spiritualité dans les établissements publics. C’est tabou, voire interdit.
Or, comme l’explique le docteur J. Besson1, si on refoule l’inconscient spirituel, on produit des névroses, dues au vide existentiel. On est au cœur du problème. Ce vide, tellement présent dans les EHPAD, provoque dépression, agression et addiction. Les employés le constatent au quotidien : des personnes perdent tout contrôle social, s’enferment dans un mutisme ; d’autres, et parfois les mêmes en alternance, agressent le personnel, l’insultent, se plaignent, crient leur désespoir, s’agitent avec l’idée de fuir.
Récemment la fille d’une personne placée me disait qu’elle n’avait jamais entendu sa mère jurer comme un charretier avant d’être là. Alzheimer semble une manière douce de vivre ce calvaire.
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Vieillir dans ces structures n’est pas le plus propice à une vie spirituelle.
C’est acceptable pour une existence profane. La qualité matérielle est rassurante pour les enfants dont l’objectif est que le parent souffre le moins possible jusqu’à la fin. Si l’on veut une autre destinée, il faut se tourner vers d’autres solutions.
Au domicile
Rester chez soi le plus longtemps possible.
Aujourd’hui, avec les aides ménagères, médicales, les repas livrés, c’est un moyen pour conserver ses repères, avec une certaine liberté. Une activité réduite est possible.
Dès la retraite,
pour ne pas sombrer lentement, aider dans une association caritative ou humanitaire permet de garder une estime de soi en étant utile. Sinon, qui sommes-nous quand nous n’avons plus de titre professionnel ? Cet aspect est si important. Bien vieillir nécessite de continuer à servir.
Puis quand arrive la dépendance,
on peut encore aider ceux qui viennent à nous. On peut toujours aider par l’expérience accumulée, par le recul offert, et enfin ce qui ne nécessite aucune agitation, par la prière. Le profane imagine qu’elle n’est qu’un ânonnement sans autre but que d’occuper le temps, mais ceux qui ont trouvé l’accès à la vie invisible connaissent bien son efficacité pas forcément visible.
Jusqu’à la fin, servir est possible
pour ceux qui gardent leur esprit. Et corolairement, servir permet de garder son esprit. Le vieillard qui a acquis de grands yeux intérieurs, de grandes oreilles au-dedans, peut transmettre ce qu’il voit et entend ; et ainsi orienter
ceux qui viennent s’assoir au bord du lit, et qui sont en demande de conseils, de questions sur leur service
auxquelles ils n’ont pas encore eu de réponse.
Donc, pour certains, rester chez eux
peut être une solution, jusqu’à l’apparition d’infirmités rendant cette modalité périmée.
Habitat partagé
Pour d’autres, la dépendance peut être compensée par l’interdépendance. Il s’agit alors de s’organiser pour vivre à côté d’autres personnes du 3e âge, dans une même dynamique. Aujourd’hui fleurissent les expériences, les projets de vie communautaire pour bien vieillir en se soutenant matériellement, affectivement, et spirituellement. Les modèles vont de l’immeuble (où ne sont partagés que les espaces collectifs) au micro hameau.
Il est bon de pouvoir partager ses peines quand la famille est un peu distante, ses découvertes car elles peuvent servir à d’autres, sa joie de vaincre certaines douleurs. Et de sentir l’union dans la prière partagée quand l’étiquette religieuse n’a plus d’importance.
Habitat pluri-générationnel
Certaines réalisations mettent l’accent sur une communauté pluri-générationnelle. En effet, les jeunes parents trouvent ainsi qui peut garder les enfants. Ils bénéficient de la sagesse, disons du recul, des
anciens. En contrepartie, ils les déchargent des tâches matérielles trop fatigantes.
La piste de la vie communautaire est intéressante y compris sur le plan économique. Mettre en commun l’électroménager, les outils divers, et parfois la confection des repas, les véhicules, représente une économie substantielle. Dans les temps qui viennent, c’est une solution gagnante non seulement matériellement mais aussi par l’entraide affective et le partage spirituel.
Pour lire l’article en entier, Reflets n°54 pages 6 à 9