Interview de Charles Juliet réalisé par Daniela Litoiu
Poète, écrivain et dramaturge, Charles Juliet, né en 1934, a reçu le prix Goncourt de la poésie 2013 pour l’ensemble de son œuvre.
En 2017, Grand Prix de littérature de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre.
Quel est, selon vous, l’enjeu de la vieillesse dans une vie humaine ?
Je crois que c’est l’époque d’un bilan. La vieillesse est, selon moi, le résultat de tout un cheminement. Si maintenant j’ai l’impression que je vis les plus belles années de ma vie, c’est parce que justement il y a eu cette lente progression, ce long cheminement pour me dépouiller de tout un tas de désirs, de tentations inutiles. C’est vrai qu’il y a en moi maintenant une certaine austérité qui n’est pas du tout voulue, fabriquée. Elle est simplement le résultat de ce qui a été vécu tout au long des années. On peut utiliser bien des mots. L’important c’est d’avoir vécu ce cheminement avec beaucoup de rigueur, d’honnêteté, de nécessité.
Comme une forme de sobriété ?
On peut utiliser bien des mots. L’important c’est d’avoir vécu ce cheminement
avec beaucoup de rigueur, d’honnêteté, de nécessité.
Qu’est-ce qui vous a aidé à préparer votre vieillesse, et qu’est-ce qui vous aide aujourd’hui à la traverser ?
Il faudrait beaucoup de temps pour que j’énumère toutes les rencontres, toutes les lectures qui m’ont beaucoup aidé. Je crois que les plus fondamentales ce sont ces crises par lesquelles je suis passé. Elles m’ont conduit en moi, à ce qu’il y a, comme en chaque être, de plus indestructible. C’est dans la mesure où l’on vit le dedans du dedans, que le travail intérieur s’accomplit.
Qu’est-ce qui, au cœur de la crise, vous a fait choisir le versant destructeur ou constructeur ?
Il n’y a pas eu le moindre choix. J’avais à vivre ce qui m’était imposé. À aucun moment il n’y a eu un choix. C’était une nécessité intérieure qui m’a toujours enjoint de vivre avec une certaine rigueur.
Que diriez-vous à quelqu’un qui aimerait être conseillé pour bien accompagner une personne âgée ? De quoi a-t-on besoin dans l’accompagnement quand on est âgé ?
Il y a besoin de beaucoup d’humanité, de beaucoup d’amour pour aider. Il faut savoir comprendre par intuition ce qu’est l’autre, ce qu’ont été ses difficultés et aussi, sans doute, ses bonheurs. C’est par intuition qu’on arrive à s’approcher d’autrui, à l’écouter. On a souvent dit qu’écouter c’est un art. C’est très difficile d’écouter. Il faut être libéré de soi-même.
J’ai beaucoup lu Tchouang-tseu qui est un penseur très ancien et qui parle de la nécessité de se vider de son moi. Il faut se vider de son ego et ne rien projeter, ne rien vouloir, être dans une humilité totale. Je dirai simplement : laisser sa vie se développer. Si on ne lui met pas des obstacles, elle s’écoule.
Certains êtres sont dans une grande solitude. Ils n’ont peut-être jamais eu l’occasion de se livrer sans retenue. Je crois que dans les derniers moments d’une vie, certains êtres ont besoin de se libérer de leur solitude en se livrant totalement.
J’ai été très frappé par Descartes qui dit :” Il faut rejoindre sa source, et là, se métamorphoser soi même. ” La pensée doit pénétrer en elle pour se libérer de ses entraves.
Vous avez tenu pendant de très longues années un journal que vous avez publié. Est-ce que ce journal, cette forme de confession, vous a aidé dans votre chemin de connaissance de vous et du bien vieillir ?
Oui bien sûr! Pour moi l’écriture a été quelque chose de fondamental. Je m’y suis engagé à fond et elle a fait partie intégrante de mon aventure. J’avais besoin pour me clarifier, de mettre par écrit ce que je pensais. Pendant longtemps je n’ai pas osé penser ce que je pensais. Quand on est soucieux de spiritualité, on se trouve à l’écart de ce que la société vous impose.
Pour lire l’article en entier, Reflets n° 43 pages 58 à 59