Rencontre avec Éric JULIEN
LES INDIENS KOGIS
et LES PRINCIPES DU VIVANT
ON POURRAIT DIRE QUE LA VIE D’ÉRIC JULIEN A EU DEUX COMMENCEMENTS : À SA NAISSANCE BIEN SÛR, ET PENDANT SON SERVICE MILITAIRE EN COLOMBIE, QUAND, ATTEINT D’UN ŒDÈME PULMONAIRE EN MONTAGNE, IL VIT UNE EXPÉRIENCE FONDATRICE. DEPUIS, IL ŒUVRE POUR FAIRE CONNAÎTRE LA CAUSE DES INDIENS KOGIS D’AMÉRIQUE DU SUD, AU TRAVERS DE L’ONG QU’IL A FONDÉE EN 1997, TCHENDUKUA – ICI ET AILLEURS, SPÉCIALISÉE DANS L’ACCOMPAGNEMENT DES PEUPLES « RACINES », LA PRÉSERVATION / RECONSTITUTION DE LA BIODIVERSITÉ ET LE DIALOGUE ENTRE LES CULTURES.
Pensez-vous que nos sociétés modernes puissent apprendre de ces sociétés traditionnelles ?
Les Kogis, société traditionnelle parmi d’autres, ne vivent pas sur la base de lois édictées par des hommes au service des hommes et qui changent quand cela les arrange. Ils vivent en respectant les principes du vivant, qui nous traversent et nous agissent. Ces principes-là sont universels. La difficulté essentielle de ces principes est qu’ils sont parfois difficiles à percevoir, donnant l’illusion qu’ils n’existent pas. Pour les Kogis, le monde tel que nous le voyons est le reflet de principes invisibles, qui fondent les choses et les phénomènes. Quels sont ces principes ? Comment les respecter afin de vivre en harmonie, en accord avec la nature ? Tel est l’objet essentiel de l’enseignement et de l’existence des Kogis. Une façon d’appréhender le monde que l’on retrouve dans nombre de traditions. Quand vous commencez à explorer cet univers, celui de la vie qui vous traverse, de laquelle nous sommes issus, vers laquelle nous retournons à notre mort, nos systèmes classiques de représentation, issus d’une vision du monde extrêmement réductrice, volent en éclat.
Cela questionne cet étrange courant de pensée qui prône l’idée d’un homme augmenté comme moyen de démultiplier nos potentiels. Comment prendre au sérieux des recherches, un discours qui se développent hors du vivant, de la vie et de l’humilité ? Cela ferait presque sourire, si ce n’était pas si dramatique.
Nous sommes à une époque historique où aucun de nos outils, de nos concepts intellectuels ne nous préparent à faire face à ce qui va advenir. Dans ce contexte, au regard de ces enjeux, ces sociétés traditionnelles ayant gardé un lien fort au vivant peuvent nous aider à renouveler notre pensée, décoloniser nos imaginaires, afin d’accueillir le « non encore advenu » dont nous avons aujourd’hui le plus grand besoin. Aurons-nous l’humilité suffisante pour engager un dialogue ? Pourtant il y a urgence.
Ce sont les enfants qui élaborent le cadre et qui en sont les garants.
Les deux questions « comment je sais ce que je sais ? » et « comment faire société ? », que nous pourrons explorer à travers ce dialogue, sont des questions universelles qui se sont toujours posées aux humains. Ce qui varie, c’est l’imaginaire que nous sommes capables de développer pour y répondre. En ce sens, les sociétés « racines » dont font partie les Kogis peuvent nous aider à renouveler notre pensée. Il nous faut inventer une alternative « vivante » entre le communisme qui a échoué et le capitalisme qui nous mène à notre perte.
Parlez-nous de l’école pratique de la Nature et des Savoirs que vous avez créée dans la Drôme. L’école est venue d’un besoin profond, vital, que je ressentais, d’élever mes enfants avec la nature. En 2006, dans la Drôme, nous avons acheté un lieu en montagne, puis ouvert des formations pour adultes. En 2010, c’est la création d’une ferme école permacole à 1 000 mètres d’altitude. En 2012, c’est au tour de Caminando, l’école primaire, de voir le jour. Puis en 2015, Naturilys, l’école de naturopathie. L’élément clé qui traverse ces chantiers est l’expérience des neuf principes du vivant, présents en nous, mais qu’il faut « réveiller ». Un peu comme les cellules imaginales, présentes dans le corps de la chenille, qu’il faut réactiver pour permettre la métamorphose en papillon. La terre enseigne, tout y est écrit. Il faut juste savoir se mettre à son écoute.
Dans la classe unique Caminando, comme dans la nature, il y a des règles à respecter. Avec cette différence qu’elles ne sont pas imposées, mais identifiées et portées par les enfants. Au début de l’année, on leur demande ce dont ils auraient besoin pour se sentir bien. Il y a beaucoup de choses dans les réponses. « Je ne voudrais pas qu’on me tire les cheveux, je ne voudrais pas qu’on me tape, je voudrais que l’on m’écoute… » Il s’agit de les amener à prendre doucement conscience de la relation et de l’espace commun dans lequel se déroule l’aventure scolaire. C’est une prise de conscience qu’il y a quelque chose à mettre ensemble pour que l’aventure se passe bien. Ce sont les enfants qui élaborent le cadre et qui en sont les garants. Cela change tout. À partir du moment où il y a un cadre, la confiance peut s’instaurer, et la confiance est la première condition pour s’engager, se mettre en mouvement, se mettre en-vie.
Pour lire l’article en entier Reflets n° 26 pages 21 à 29