Quand le masculin et le féminin s’affranchissent de la nature
Hervé Marchal
Hervé Marchal est sociologue. Après avoir suivi des études supérieures de gestion dans une école de commerce et passé plusieurs mois en Amérique du Sud, Hervé Marchal s’oriente vers des études de sociologie à l’université Nancy 2. Aujourd’hui maître de conférences à l’université de Bourgogne, il centre ses recherches plus particulièrement sur la vie urbaine.
De prime abord, il apparaît évident qu’un homme et une femme se distinguent biologiquement, la nature les ayant pourvus l’un et l’autre d’organes sexuels différents. Mais si cette distinction existe bel et bien naturellement, il n’en demeure pas moins que le sens qu’on lui donne n’émane pas des organes sexuels eux-mêmes, mais de la société. Le sens que l’on attribue à la différence des sexes est en effet construit socialement, culturellement, politiquement, institutionnellement… Autrement dit, le fait biologique qu’il existe des mâles et des femelles parmi l’espèce humaine ne suffit pas à nous dire ce qu’est un garçon ou une fille. Il revient à chaque société, chaque culture et à chaque groupe social de définir un ou plusieurs modèles identitaires féminins et masculins.
D’une différence de nature à une différence de culture
Jusqu’au début du XXe siècle, il était admis que les différences entre les hommes et les femmes tenaient à des différences de nature. D’une manière générale, il a fallu attendre les travaux de l’anthropologue américaine Margaret Mead pour commencer à comprendre que ce que l’on croyait être d’origine naturelle était en réalité d’origine culturelle. Dans son livre Moeurs et sexualité en Océanie, publié pour la première fois en 1928, M. Mead écrit : « Chaque société a, d’une façon ou d’une autre, codifié les rôles respectifs des hommes et des femmes, mais cela n’a pas été nécessairement en termes de contrastes, de domination ou de soumission […]. Dans la répartition du travail, la façon de s’habiller, le maintien, les activités religieuses et sociales, hommes et femmes sont socialement différenciés […]. Dans certaines sociétés, ces rôles s’expriment principalement dans le vêtement ou le genre d’occupation sans que l’on prétende à l’existence de différences tempéramentales innées. »
Déconstruire ce qui a été construit socialement
Ces propos ont eu un écho important après la Seconde Guerre mondiale et sont dans une large mesure à l’origine des profondes évolutions relatives à la place des femmes, que notre société a connues depuis une cinquantaine d’années. En effet, dès lors que l’on prend conscience à quel point les inégalités de sexe ne peuvent être justifiées par une prétendue infériorité naturelle des femmes, il devient possible de déconstruire ce qui a été construit socialement… Le virage qui s’opère alors est en fait une véritable révolution, car il ne s’agit rien de moins que de remettre en cause des millénaires de domination masculine.
En outre, afin de revenir sur les identités sexuelles héritées du passé, il a fallu prouver que ce qui nous apparaît à l’évidence comme des inégalités génétiques trouve en réalité son origine dans des comportements et des pratiques socialement déterminés. Nous pensons plus particulièrement ici au différentiel de force physique entre les hommes et les femmes. Des travaux ont montré que les explications données par les biologistes et les généticiens ne suffisent pas en la matière.
L’alimentation à l’origine du différentiel de force physique ?
On sait aujourd’hui que si les femmes sont plus petites que les hommes, cela tient à des différences d’alimentation. En effet, l’alimentation a été fondée pendant longtemps – et l’est encore selon les univers socioculturels – sur un système de croyances qui considère que l’homme a plus besoin de protéines que la femme.
Des bouillies pour les femmes, de la viande pour les hommes
Comme l’a souligné Françoise Héritier (« Le vade-mecum du mâle dominant », Grand entretien, journal Le Monde du 3 février 2007, p. 18-25), au cours de l’histoire, les femmes ont été nourries de céréales, de bouillies et de nourritures blanches qui allaient de pair, pensait-on, avec leur nature faible et fragile. La viande, la graisse et les sels minéraux étaient, quant à eux, réservés aux hommes. Ces déficits alimentaires affectant directement les femmes se sont accumulés pendant des millénaires, si bien qu’ils ont produit « des adaptations physiques, des déformations corporelles et des différences de taille qui finissent par être considérées comme naturelles alors qu’elles sont culturellement acquises. »
La déconstruction des identités sexuelles
Il existe aujourd’hui de multiples manières de vivre sa vie de femme. Les femmes deviennent des individus à part entière dans la mesure où il leur incombe de donner un sens à leur vie de façon personnelle et délibérée. En d’autres termes, l’identité féminine fondée sur une prétendue nature féminine est en train de voler en éclats.
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Pour lire l’article en entier, Reflets n° 25 pages 32 à 35
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