Tribune de François Thomas, président de SOS MEDITERRANÉE France
L’errance de notre navire ambulance, l’Océan Viking, en novembre 2022 a rappelé à bien des
égards l’Odyssée de l’Aquarius en juin 2018. Ce triste épisode, où 234 personnes rescapées
ont attendu trois semaines avant de pouvoir débarquer à Toulon le 11 novembre dernier,
alors que l’Italie et Malte avaient fermé leurs ports, écorné sérieusement les valeurs
fondatrices de l’Europe.
Il a mis en évidence, une fois de plus, une crise majeure de la
solidarité européenne. Cela a été l’occasion d’un déferlement sans précédent de haine, de
circulation de fausses informations et de commentaires insidieux mettant en doute la réalité
des conditions de sauvetage et la légitimité de l’action des ONG de sauvetage en mer. Ces
discours avaient tous pour point commun d’oublier ou nier l’humanité des personnes
rescapées et la tragédie qui se joue en Méditerranée centrale.
Car c’est bien de cela dont il est question : une tragédie, aux portes de l’Europe. Depuis
2014, année à partir de laquelle l’Organisation Internationale pour les Migrations des
Nations Unies a débuté son projet de décompte des disparus en Méditerranée, plus de
25 000 personnes ont perdu la vie en Méditerranée. 80 % d’entre elles ont sombré en
Méditerranée centrale ; c’est dans cette zone, dans les eaux internationales, qu’intervient
notre association SOS MEDITERRANEE.
C’est sur cet axe maritime migratoire, un des plus
dangereux au monde, que nos équipes ont secouru 37 173 hommes, femmes et enfants
depuis le début de nos opérations en 2016.
Ne nous méprenons pas : si une association comme la nôtre existe, c’est parce que les États
européens se sont désengagés de la Méditerranée. Ces derniers sont pourtant signataires
des conventions internationales qui régissent le droit en mer. Face à la défaillance de ces
mêmes États, SOS MEDITERRANEE se mobilise sans relâche pour sauver des vies humaines.
Portée par des citoyennes et des citoyens européens engagés, nous avons toujours refusé la
fatalité.
Malgré les obstacles et les menaces proférées, nous continuons à agir. Car une
certitude nous anime : tendre la main à une personne en détresse en mer n’est pas un
combat politique, c’est un impératif légal et moral qui ne se discute pas. Le sauvetage en
mer est l’expression même de l’humanité dans cet espace maritime, qui couvre 70% de la
surface terrestre.
« Solidarité, protection des droits de l’Homme en particulier ceux de l’enfant, strict respect et
développement du droit international… » : telles sont les valeurs de l’Europe figurant à
l’article 2 du Traité de Lisbonne. L’attitude des États européens face au drame qui se joue en
Méditerranée centrale en est bien loin. Depuis l’arrêt de l’opération Mare Nostrum en
novembre 2014, l’Europe n’a cessé de se retirer progressivement de cet espace humanitaire
alors que les mesures pour écarter les navires des associations de sauvetage en mer de cette
région évoluent de façon pernicieuse.
Un sursaut d’humanité est nécessaire dans les politiques européennes. Partout où un
homme, une femme, un enfant risque la noyade aux portes de l’Europe, nous sommes tous
concernés. Le droit à la vie est universel.
Cette tribune a été initialement publiée dans le cadre du Climat Libé Tour Bordeaux sur le site
www.liberation.fr le 25 janvier 2023
Si cet article vous plait, pensez à faire un don. Le fonctionnement du site a un coût. Il n’y a pas de publicité.
Vous avez un bouton « don » sur le côté. Merci de votre participation quel que soit le montant