Marie de Hennezel, psychologue, psychothérapeute, écrivaine,s’investit depuis de nombreuses années dans la considération de la vieillesse. Elle a travaillé pendant dix ans dans la première unité de soins palliatifs de France, créée en 1987 à l’hôpital international de la cité universitaire de Paris.
« Vieillir est une chance », affirme-t-elle. « Un dernier chapitre de la vie plein de promesses ».
Elle anime des séminaires de formation à l’accompagnement des mourants et à l’art de bien vieillir.
Qu’est-ce qui a déclenché chez vous l’intérêt pour la vieillesse avant votre vieillesse?
J’ai consacré tout une première partie de ma vie professionnelle de psychologue et d’analyste à la question de l’accompagnement des mourants. Puis, lorsque j’ai abordé les rives de la soixantaine, à l’occasion d’une conférence « Comment accepter de vieillir ? » à laquelle on m’avait invitée, je me suis plongée dans le sujet et j’ai découvert que c’était un sujet tabou, qui faisait peur à presque tout le monde. J’ai eu envie de l’explorer, et c’est ce que j’ai fait avec mon tout premier livre sur la question : La chaleur du cœur empêche nos corps de rouiller. Ce livre a été un best-seller, traduit en dix langues, et j’ai compris que la manière dont j’avais traité le sujet, en m’inspirant de « vieillards remarquables », correspondait à l’attente de toute ma génération.
Quel est le signe que la vieillesse arrive ?
Nous vieillissons dès la naissance, il ne faut pas l’oublier.
Car vieillir, c’est avancer en âge. Mais cette avancée en âge obéit à un paradoxe : le corps décline inévitablement, mais le cœur et l’esprit peuvent rajeunir. On dit qu’on sent la vieillesse arriver lorsque le corps commence à décliner. C’est une réalité qu’il faut accepter, mais que l’on accepte d’autant mieux que l’on a compris que le désir de vivre, la curiosité d’esprit, l’ouverture au nouveau, la capacité de créer, de fabriquer en soi des émotions nouvelles, de continuer à apprendre et à apprendre aux autres, tout cela n’est pas destiné à décliner. À condition de garder la joie de vivre, et de rester en lien avec les autres.
Je dis volontiers que vieillir est une « aventure ».
Une inconnue. C’est avant tout une « aventure spirituelle ». Carl Gustav Jung l’a parfaitement décrite dans son œuvre, quand il nous dit que, dans la première partie de notre vie, notre énergie est consacrée à la construction de notre être extérieur (avec ses projets, ses ambitions, gouvernés par le moi conscient), alors que dans la deuxième partie de notre vie, il nous est demandé de nous détacher progressivement de notre être extérieur et d’explorer notre intériorité, afin d’aller vers notre soi, notre être essentiel et d’accomplir notre vie.
Vous œuvrez pour redonner une nouvelle image de la vieillesse afin qu’elle ne soit pas vue comme un naufrage. Vous envisagez une politique nationale de prévention de la perte d’autonomie. Pouvez-vous préciser ?
Si l’on voit la vieillesse sous ce prisme,
alors l’image que nous avons du « vieillir » peut être positive et enviable. Après tout c’est une chance ! Christiane Singer, qui aurait bien aimé vieillir, me l’avait dit avant de mourir à 64 ans !
Ce temps de la vie ne nous est pas donné pour rien.
Mais pour vivre une avancée en âge heureuse, féconde et intéressante, ouverte au nouveau, pour rester désirant malgré les épreuves et les deuils, il faut « travailler à vieillir bien » et prendre les bonnes pistes. Le chemin qui mène à la dépression, à l’ennui et à la tristesse existe aussi. C’est un choix qu’il ne faut pas faire trop tard. Et parfois ne pas hésiter à se faire aider. Mon livre L’Aventure de vieillir est, dit-on, un vrai programme de prévention de la perte d’autonomie. Il rappelle à la génération vieillissante à laquelle j’appartiens que nous sommes responsables de donner aux générations plus jeunes une image qui leur donne à leur tour envie de vieillir. Leur faire don d’une « maturité heureuse ». C’est comme cela que l’immense foule des personnes vieillissantes pourrait ne pas « peser » sur les plus jeunes. Les pistes sont nombreuses : garder l’estime de soi, avoir un comportement vertueux, faire alliance avec son corps, trouver la paix de l’esprit, méditer sur sa finitude, voyager vers son intériorité afin de découvrir le sens de sa vie, nourrir en soi la joie et rayonner, explorer les contre-valeurs de la société : la disponibilité, la bienveillance, la lenteur.
Je ne cesse d’interpeller,
en effet, les pouvoirs publics, les ministres, afin que la prévention de la perte d’autonomie, inscrite dans la loi Bien vieillir, ne se limite pas à la lutte contre l’isolement, mais intègre cette dimension de prévention psychologique et spirituelle, fondée sur l’estime de soi, que je défends depuis tant d’années.
Vous êtes pour le mouvement Béguinage Solidaire. Des structures se mettent en place actuellement avec notamment la CNAV. Quels sont les bienfaits et les problèmes rencontrés dans ce Béguinage Solidaire ?
Je soutiens en effet la création de Béguinage Solidaire, et j’ai écrit avec Tristan Robet un livre sur ce concept qui me semble correspondre à ce que ma génération souhaite pour elle-même. Vieillir chez soi, et avec les autres, dans un habitat à taille humaine, non médicalisé, dans lequel chacun décide de ce qu’il souhaite et n’est pas réduit à être un « objet de soin ». Mais c’est surtout le projet de solidarité intragénérationnelle qui m’a plu dans ce concept. Le fait que les habitants des Béguinages Solidaires décident de ne pas s’abandonner les uns les autres, s’ils deviennent plus fragiles et plus vulnérables