LE « MÉDIATIQUE » N’EST PLUS DU JOURNALISME
Jean-Claude Guillebaud est écrivain et journaliste. Grand reporter au quotidien Sud Ouest en 1965, il rejoint Le Monde en 1972 grâce au prix Albert-Londres qui récompense son professionnalisme. En 1989, il rejoint Le Nouvel Observateur pour lequel il écrit des chroniques. Président de Reporters sans frontières, « arpenteur de terres et sondeur d’âmes », il fait de la question de l’autocritique des médias son cheval de bataille. Il refuse le pessimisme contemporain, qu’il assimile à une lâcheté. Il est possible de « réparer le monde, dit-il, alors agissons ! ». Il est l’auteur entre autres de Je n’ai plus peur et de La Foi qui reste parus aux éditions L’Iconoclaste
Cette fameuse hégémonie médiatique qui bouscule — et parfois ruine — le fonctionnement de la démocratie, n’est pas une calamité qu’il s’agirait de dénoncer infatigablement et vainement. C’est une émergence nouvelle, qu’il faut, vaille que vaille, apprendre à penser. Les médias seront toujours là demain, après- demain, et plus tard encore. Leur prêter servilement allégeance est une capitulation bêtasse, mais les vitupérer sur le mode dédaigneux n’a pas davantage de sens.
Ce qu’il faudrait plutôt favoriser, c’est une maîtrise progressive, une mise à distance, un apprentissage citoyen de cet « empire des médias » qui demeure, pour l’instant encore, livré à ses pesanteurs déraisonnables. Cette réappropriation implique un minimum de conceptualisation, de travail théorique. On ne triomphe pas d’un phénomène déstabilisateur sans l’avoir préalablement pensé. Or, il se trouve que ce travail conceptuel est largement amorcé. Mais à un niveau, trop discret, par une « société des clercs » loin du grand public. Dans l’exil des colloques, des laboratoires, des sciences humaines.
UNE NOUVELLE DISCIPLINE DU SAVOIR
Périodiquement, des institutions (universités, départements de l’Unesco, sites Internet spécialisés) donnent une assez bonne idée de cette réflexion internationale. Philosophes, médiologues, sociologues, spécialistes des sciences de la communication, chercheurs : un savoir s’accumule bel et bien au sujet des médias qu’il s’agit maintenant de vulgariser, au bon sens du terme. Mais quelle sorte de savoir ? Parmi toutes les analyses proposées, citons, à titre d’exemple, celles de Daniel Bougnoux, professeur émérite de sciences de la communication à l’université Stendhal de Grenoble ou encore le philosophe Bernard Stiegler, et son site personnel « Ars Industrialis ».
Pour l’essentiel, l’un comme l’autre imputent au progrès des « techniques médiatiques » quatre basculements dans notre rapport au monde, quatre grands « passages » collectifs. Du vertical à l’horizontal, d’abord : en ouvrant grand angle sur le monde, les médias ruinent les vieilles transcendances, y compris celles de l’école et de l’État. Passage du stock au flux, ensuite : la richesse et la culture se mesurent dorénavant moins en termes de capital accumulé qu’en capacité de circulation. Passage du contenu aux relations, encore : ce n’est plus le contenu ou la substance qui compte désormais mais la visibilité. Passage enfin de l’hétéronomie à l’autonomie : les médias tentent d’accomplir — jusqu’au point limite de l’atomisation — cette (fausse) promesse de la modernité : l’autonomie individuelle absolue.
Dans ce contexte, c’est la spécificité radiophonique qu’il est intéressant d’interroger. La radio hésite en effet entre deux vocations. La première procède de l’instrument lui-même : privilégier la parole, le mot, le concept et offrir, face à l’image, contrepoids culturel du langage. La radio, de ce point de vue, serait l’alliée objective de l’écrit « raisonnable » contre l’émotivité du visuel. Hélas, une station comme France Culture assume quasiment seule cet ancrage nécessaire. L’autre tropisme radiophonique obéit à des pesanteurs inverses. Par son mode de fonctionnement, son recrutement, son cousinage mondain, la radio se vit parfois comme une sorte de télévision privée d’images et donc, infériorisée, orpheline et envieuse.
La liberté implique la responsabilité, c’est d’ailleurs pourquoi les hommes la redoutent tant (George Bernard Shaw)
Pour lire l’article en entier REFLETS n° 33 pages 50 à 53