Louis Fouché, médecin réanimateur en poste à l‘hôpital de la Conception de Marseille jusqu’à l’automne 2021, est l’un des ambassadeurs du collectif RéInfo Covid créé pendant la crise sanitaire, composé de nombreux soignants et artistes. L’auteur du livre Tous résistants dans l’âme mène un combat non violent, à l’image d’un pratiquant en art martial, pour préserver le vivant en ce monde. Montrant les failles et les revers de la politique sanitaire de l’Etat, il est devenu malgré lui une voix qui compte sur les réseaux sociaux. Nous avons écouté un homme passionné et passionnant, érudit et modeste, convaincu par la nécessité de se confronter à « frottement dur » avec le Réel.
Qu’est-ce qui vous motive profondément au-delà du désaccord avec l’autorité médicale sur la vaccination ?
C’est beaucoup plus profond qu’un désaccord sur la vaccination. Nous sommes frères et sœurs humains sur Terre à essayer de prendre soin de celui qui ne va pas bien, à avancer sur ce chemin de souffrance qu’est l’existence. Siddhârtha sort de son palais et rencontre la vieillesse, la maladie et la mort. Il rencontre la dukkha, la souffrance universelle. Il renonce à son destin de roi pour devenir un sage et essayer de trouver un remède à cette souffrance.
Cette souffrance, c’est la rencontre à frottement dur avec le réel pour s’individuer, sortir de la matrice et prendre sa place. A mon sens, il y trois ordres de remèdes à cette souffrance ontologique de l’humain : celui symbolique de donner du sens à la souffrance et faire que le chemin s’éclaire devant nous. Etre malade, mourir, vont alors faire sens. Celui social de se serrer les coudes entre frères et sœurs humains quand l’un d’entre nous ne va pas bien. Enfin, celui technique de créer des artefacts pour aider ou diminuer la souffrance (un médicament, une maison, des habits, etc…). Nous avons désinvesti les champs symboliques et sociaux pour surinvestir le champ technique de remédiation à la souffrance. Jusqu’à l’idée que la technique pourrait nous éviter ce frottement dur au réel et permettre de ne jamais souffrir. L’existence serait un programme informatique qu’on déroule sans bugs. Une optimisation de notre « expérience-utilisateur » de la vie, prémunis de tout danger et de survenue d’imprévu. Les GAFAMS veulent nous faire un « technococon » définitif pour qu’il n’y ait plus aucune souffrance.
La Covid a donné un grand pouvoir au numérique et aux GAFA, est-ce un problème de fond ?
Ce n’est pas qu’une crise sanitaire, scientifique, démocratique, scolaire, sociale, médiatique ou environnementale. C’est tout cela à la fois. Et au centre, il y a la peur de la mort ; et la volonté d’un monde contrôlé et prédictible. L’humain a créé des religions, des outils sociaux, de la technique pour tenter de s’affranchir de la souffrance. Mais il souffre quand même. Il a tout mais ne peut contrôler la mort.
L’idéologie transhumaniste, devenue prégnante chez nos gouvernants, veut justement s’affranchir de la mort. Elle vise à un humain qui deviendrait Dieu. Un des cadres de Facebook a créé sa religion de l’intelligence artificielle. Il a créé une Eglise aux Etats-Unis qui vénère l’I.A. comme un dieu. C’est l’hubris des grecs, la volonté de puissance de l’humain, la folie des grandeurs, l’orgueil de vouloir devenir Dieu à la place de Dieu. C’est Prométhée qui vole le feu aux dieux pour le donner aux hommes . C’est Icare qui cherche à monter près du soleil pour devenir l’égal des dieux.
Le monde occidental puise à son propre profit les ressources, au mépris des conséquences. Les chaînes de montage industrielles veulent transformer la Nature, en faisant un objet fini calibré, parfait. Il faut alors se séparer de l’humain, cette chose instable qui crée de l’imprévu et de l’erreur. L’ouvrier devient un robot. L’humain est perdu dans ce monde déshumanisé, courant après le temps et la machine comme dans Les temps modernes de Chaplin.
Les GAFAM cherchent à enlever l’humain des variables de l’équation en le remplaçant par des systèmes techniques numérisés.
Ce mouvement arrive à son paroxysme. Et il s’agit maintenant de tout mettre en nombres, de parvenir à un idéal mathématique, où le monde serait enfin réduit à l’épure de sa perfection numérique. C’est une illusion car il y a toujours des variables imprévues. Et le Vivant par nature échappe à sa modélisation numérique. Henri Laborit et Edgar Morin ont développé « la pensée complexe », signifiant que la pensée binaire du bon-mauvais, blanc-noir, n’est pas le réel. Notre cerveau n’arrive pas à intégrer un système complexe.
D’où deux nobles tentations : celle de la science de comprendre le réel en proposant des modèles théoriques mais qui sont toujours des appauvrissements par rapport au réel. Celle de la spiritualité qui, constatant le monde trop complexe, s’ouvre au mystère et à la beauté en acceptant que l’humain n’est qu’un élément de cette complexité. Ces deux façons de voir peuvent se rapprocher, les grands scientifiques sont souvent de grands mystiques.
La Covid est le révélateur de la Xe tentation d’hubris de l’humanité. Rien de neuf sous le soleil. Il est venu comme une chance nous proposer de revenir à notre humaine condition et de cesser le délire de toute puissance de nos sociétés matérialistes. L’hubris chez les grecs est toujours puni par la Nemesis : la colère des dieux qui ramène l’humain à sa condition. La Covid est la Nemesis de nos sociétés occidentales.
Est-ce que vous avez l’espoir que les gouvernants adoptent une certaine sagesse face à cette situation ?
C’est comme si nous attendions un sauveur mais, si nous sommes chrétiens, il est déjà venu. En psychologie, c’est le triangle bourreau, victime, sauveur. Nous sommes toujours le bourreau de quelqu’un ou la victime de l’autre, le sauveur d’un troisième. Cela s’appelle le triangle dramatique de Karpman. Il faut en sortir.
Attendre des gouvernants la sagesse, c’est avoir un désir sur l’autre. Nous ne pouvons que nous changer nous-mêmes, et c’est déjà pas mal. Si vous le faites, il va s’ensuivre une transformation du réel autour de vous par effet de contamination. Ça commence à l’intérieur. Vous ne pouvez pas trouver la paix là-devant, si vous ne l’avez pas là-dedans.
Vouloir régler leurs comptes à des gouvernants insuffisants est une violence mimétique qui aboutit au sacrifice d’une victime émissaire. Transformer la peur en prudence, phronesis chez les grecs, et la colère en courage pour revenir au réel autour de nous. Le gouvernant n’est que le reflet de sa société. Elle-même n’est que le précipité de ce que nous avons envie de vivre individuellement. La question des gouvernants est secondaire.
Votre combat est-il un combat politique ou spirituel ?
Les deux. Mais parler de spiritualité est un gros mot dans le monde de la doxa scientifique dont je suis issu, en tant que médecin réanimateur. Les médias s’emparent de la moindre parole qui a trait à la spiritualité pour nous considérer comme gourou avec dérive sectaire. Je ne peux donc que teinter de spiritualité mes actions même si je crois qu’il y a un enjeu spirituel. Les gens ont peur de cette idée de spiritualité car ils sont élevés dans le dogme du scientisme. Mais celui-ci commence à s’effriter. Tout ce qui est à coté apparait hérétique. Il se forme alors des tribunaux de l’inquisition, un raidissement totalitaire. Si nous cherchons des ouvertures, il est inutile de forcer. C’est le principe de l’aïkido. Nos institutions sont en train de s’effondrer. Il y a à laisser s’effondrer le monstre. Dans la santé, nous constatons le désinvestissement du bien public des hôpitaux depuis plus de 25 ans, en diminuant les budgets et en mettant en place des systèmes technico-administratifs maltraitants. Les soignants sont maltraités et ne peuvent même plus rêver ce qu’ils veulent faire. Nous arrivons au bout d’un système technique qui montre désormais sa contre productivité maximale par rapport à l’objectif de départ.
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