Le père Pierre Vignon est prêtre catholique du diocèse de Valence dans la Drôme. Une part importante de son
ministère s’est déroulée au tribunal ecclésiastique de Lyon où son soutien aux victimes d’abus lui a valu d’être révoqué
de sa fonction de juge. Il a publié en 2021 Marthe Robin en vérité pour promouvoir la figure de cette femme dont la mission a été spécialement remise en cause dans les médias.
GUIGUES LE CHARTREUX ET SOLJENITSYNE
Au début du XIIe siècle
vivait à la Grande Chartreuse un prêtre ermite originaire du même diocèse que le mien, Guigues 1er le Chartreux (1083- 1136). On a de lui un recueil de pensées qui sont publiées aux Sources Chrétiennes (308). De l’avis général, c’est un chef-d’œuvre qu’on peut placer entre les Pensées de Marc Aurèle et celles de Blaise Pascal.
Celles qui concernent la vérité
sont parmi les plus belles. Par exemple : « La vérité doit être placée au milieu, comme un bel objet. Si quelqu’un l’a en horreur, ne le juge pas, mais aie pitié de lui. » ; « Les noisettes et les mûres ont en elles ce qui les fait désirer. Et la vérité et la paix ! Non ? ». Alexandre Soljenitsyne (1918-2008) a pourtant observé, dans son discours de Harvard du 8 juin 1978, que « la vérité est rarement douce à entendre ; elle est presque toujours amère… Je vous l’apporte non en adversaire mais en ami. » Guigues ne l’aurait pas contredit car pour lui « sans éclat, ni beauté, et clouée à la croix, ainsi doit être adorée la vérité. » Il appuie Soljenitsyne lorsqu’il écrit : « Le glaive de la vérité est un bien, mais les hommes s’en servent pour nuire, parce qu’ils le croient mauvais, et ils l’administrent comme tel. Toi, ne l’administre pas ainsi, mais dans l’intention de faire le bien à qui tu l’offres. »
Le grave danger de l’intégrisme radical
est ainsi évité, car « on ne défend pas la vérité mais elle défend. En effet, ce n’est pas elle qui a besoin de toi mais toi d’elle. »Guigues et Soljenitsyne inspirent mon action. Doit-on tout mettre sur la place publique ? Non ! La plupart du temps nombre d’affaires doivent être réglées à leur niveau. Ce qui relève de la catéchiste ne doit pas remonter au pape, et inversement. Mais comme on le chante dans le psaume (10, 3) : « Quand sont ruinées les fondations, que peut faire le juste ? ». Parler !
Quand les lois universelles sont enfreintes et transgressées
et quand il s’agit d’une situation notoire, c’est-à-dire publique, dire la vérité devient un devoir moral qui s’impose à la conscience. Mais où se trouve la limite, me dira-t-on ? Avec l’apparition de la complicité. À partir du moment où votre silence vous rend complice, il faut parler, voire hurler si l’on cherche à vous faire taire.
DANS LE CAS DE MARTHE ROBIN
Quand en 2020
la mémoire de la vénérable Marthe Robin a été mise en cause par un religieux carme, Conrad de Meester (1936-2019), dans un livre posthume où il l’accusait de « fraude mystique », j’ai été contraint de sortir du silence pour affirmer le contraire parce que j’étais un témoin et que c’était mon devoir de parler. Pour résumer mon propos, sans entrer dans le détail qui n’est pas ici le sujet, j’ai dû montrer que ce qu’il croyait être une démonstration implacable reposait seulement sur deux affirmations non fondées.
Premièrement, comment pouvait-il « déparalyser » Marthe Robin
en enflant un détail de l’expertise médicale de 1942, à savoir que seuls le pouce et l’index des deux mains bougeaient encore un peu suite à sa paralysie progressive due à son encéphalite léthargique ? Comment pouvait-il lui attribuer cinq graphies différentes alors que la totalité des secrétaires à qui Marthe dictait n’est pas encore établie, qu’il n’était pas graphologue et que, s’il l’avait été, il n’aurait pas pu travailler sur des photocopies, comme l’interdit leur déontologie ?
Il était donc impossible d’admettre ses conclusions imaginées
et supposées à partir de deux prémisses que je savais fausses. En tant que témoin ainsi que proche de la famille et des amis de Marthe, je devais accomplir mon devoir, en ami dans le style de Soljenitsyne et pour le bien dans celui de Guigues.
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ET DANS LE CAS DE LA CRISE DES ABUSEURS
À la fin de l’année 2015 a commencé à Lyon ce qui allait devenir une crise nationale majeure, l’affaire Preynat (1945-2024) puis l’affaire Barbarin. On n’a plus cessé d’en entendre parler pratiquement chaque jour jusqu’en 2020. Si la vérité dans le cas n’était pas un bel objet, la mettre au milieu s’imposait. Tout simplement parce qu’elle était caractéristique non seulement de l’Église mais encore de l’ensemble de notre société. Il suffit de citer pour s’en convaincre le rapport de la CIASE (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église) à la page 22 : « 5 500 000 personnes majeures vivant dans notre pays ont subi des agressions sexuelles pendant leur minorité ». C’est avec cet arrière-fond qu’il faut placer les chiffres concernant la seule Église catholique, entre 1950 et 2020, de 220 000 à 330 000 victimes.
QUI VEUT ENTENDRE CES VÉRITÉS QUAND ELLES SONT RÉVÉLÉES ?
Chacun est renvoyé à sa conscience et doit agir au juger. Salit-on quand on dit la vérité ? Ce n’est pas aussi sûr que certains le voudraient.